arnaud maïsetti | carnets

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ne plus vivre

lundi 14 janvier 2019

Ce fut si beau que j’aurais voulu ne plus vivre.

G. Bataille, Le Bleu du ciel


M83, You Appearing


Dans la violence triste de l’époque, les joies qui traversent éblouissent et ravagent. Face au coucher de soleil dans le vent, on reste aussi pour la douleur, et la beauté qui renverse, devant quoi on est seulement soi-même, et seul. Ce n’est pas une image.

Chercher violemment des antidotes ne soigne pas la tristesse, ne recouvre pas la violence, plutôt au contraire : il ne faudra rien oublier de ces jours. Il y a dans les rêves, ces dernières nuits, des terreurs qui sont des joies sans fin parce qu’on les traverse ; il y a dans ce monde qu’on dit réel, des laideurs qui insultent mais ne laissent au moins pas le choix : on est contraint de récuser ce monde en bloc. Il y a des complots, comme des désirs – non, pas "comme" –, qui travaillent aussi contre le monde, au corps à corps.

Sur le pont du bateau vers Porto-Vecchio, les pensées face au vent étaient celles-là, je ne les ai pas écrites : il n’en reste rien, que ce désir de l’écrire, et sous ce mot de désir, le désir seulement d’en relancer le désir.

Sous ce ciel-là de la Corse, sur cette terre-là, devant les bêtes sauvages et domestiquées d’ici, on pourrait appartenir. On sort devant moi, depuis des petites boites en fer, quelques vieilles photographies qui portent mon visage, mais de centenaires ; corps d’où je suis issu, sans doute. Je regarde par la fenêtre le froid qui tombe, les pensées s’échappent, franchissent la mer elles aussi.

Finalement, la colère est la seule attitude saine de ces jours – avec le désir (qui est l’autre versant). On s’abat contre les corps pour chercher ce qu’on ignore de soi, et qu’on trouve sur la peau. La surface de soi-même, c’est tout ce qu’on possède pour opposer aux coups de matraques. On l’offre aussi aux lèvres.

Ce matin, je regarde des images de film de Rohmer, cherchant à percer le secret de ce désir-là ; les nouvelles tombent (toutes aussi abjectes). Il n’y a pas d’antidote contre ce monde, seulement des pulsions de vie, des déchirures, d’autres corps à corps. Mettre à mort tout ce réel stérile dans la vie arrachée à cette vie.

Le soleil tombera sur ces jours ; cette nuit-là, on cherchera nos corps sous les draps du monde neuf.