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novembre au lendemain des morts
lundi 3 novembre 2014
On m’a dit que le monde tournait, alors j’attends de voir passer ma maison devant moi.
M. Lowry, Au-dessous du Volcan
Le lendemain des morts nous appartient. Le surlendemain aussi, peut-être. Mais les jours qui précèdent sont à eux, alors on se tait davantage. Puis, il faut recommencer. Maintenant qu’on a basculé, heure d’hiver, heure des jours mutilés : c’est comme devant le jour qui tombe : on attend moins longtemps la nuit, et c’est comme si on nous arrachait un peu de vie ; mais la nuit qui commence allonge aussi certaines ombres qui le soir s’éloignent vers certaines peurs — il faudrait peut-être les suivre. Le lendemain du jour des morts, il n’y a pas de bouteilles d’alcool sur les tombes ou dans les rues, même si à Mexico, on chante encore sans doute, et le Consul, s’il était encore debout, boit à la santé de Lowry lui-même jusqu’à l’abrutissement et la folie et la joie du dernier verre qui est toujours l’avant-dernier avant la mort : plus ivre on est, plus sobre on doit paraître .
Novembre est aussi une rentrée ; dans Marseille, la ville est à chaque rue une autre, il faut apprendre cela aussi en même temps que la vie ici. Les cartons vidés et pliés, Novembre commence vraiment cette ville. Ce matin, premier jour dans cette chambre, dans ce bureau avec dans le dos, les livres posés sur les étagères ; de l’autre côté de la fenêtre, la forme des nuages par dessus les immeubles d’en face : je ne la connais pas ; j’apprends.
De retour après des jours loin, monter sur cette colline au sud pour prendre mesure de la terre — et soudain voir la ville, la mer, la forêt, le ciel tout ensemble amassé là et d’un seul regard rassemblé dans le vent qui les lie et les emporte aussi. Devant cette lumière, on se tait. Je prends des images, mais c’est comme du silence : le silence aussi, on le prend à ce qui passe devant soi qui submerge.
Sur la gauche de l’image, le sud encore, la ville arrêtée par la montagne ; au Nord, on ne voit pas la montagne, mais elle est là aussi. Entre les deux, le bruit qui monte d’une ville vers cinq heures, les voitures et quelques cris. Juste aux pieds de cette montagne où je suis, une prison — et les types dedans, au bord de la mer, tournent sans doute au milieu de murs qui ne laissent rien passer des embruns.
Il aurait fallu attendre que le soleil tombe quelque part dans la mer.
Dans ces jours qui recommencent ici, prendre toutes les forces possibles à ce qui s’assemble là ; et maintenant que ce matin a commencé, maintenant qu’il a fallu l’écrire, je suis devant lui comme au lendemain des morts, sans deuil pour les vivants, sans souvenirs de visages enfoncés dans la poussière des jours d’avant, mais regardant l’ombre du jour sur l’écran de l’ordinateur se faire et se défaire, s’allonger et repartir en arrière, et d’un regard la poursuivre jusqu’où elle va se terrer en soi, non avec les morts ni avec les vivants, mais avec ce qui les lie ensemble.