arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > on ne saura plus bien ce qu’a pu être la folie

on ne saura plus bien ce qu’a pu être la folie

[Journal • 13.03.22]

dimanche 13 mars 2022

Peut-être un jour, on ne saura pas plus bien ce qu’a pu être la folie. Sa figure se sera refermée sur elle-même, ne permettant plus de déchiffrer les traces qu’elle aura laissées. C’est traces elle-mêmes seront-elles autre chose, pour un regard ignorant, que de simples marques noires ?

Michel Foucault, La Folie, l’absence d’œuvre

La pluie chaque minute aujourd’hui tend dehors un rythme d’inconsolé, irrégulièrement battue depuis si haut comme le sentiment d’une longue perte, d’une fatigue plus grande encore — elle lance sans effort les pensées lourdes et lentes, lâchement tristes. Elle relie aussi au grand dehors des choses mortes : elle dit qu’on est à l’abri, ici, d’elle et de tout ce qui s’effondre du ciel, qu’on est préservé ; n’en tirer aucune gloire, aucune honte : établir seulement ce constat fragile, et qui n’offre aucun recours — il y a d’autres terres sous le même ciel où ce qui tombe ne laisse de répit à aucune pensée pour rien d’autre que pour des cris, et vite s’enfuir.

Quelques phrases lues, arrachées même, à cette œuvre de Foucault que j’ignorais — La Folie, l’absence d’œuvre raconte ce qu’il en sera de nous, plus tard, quand fatalement la folie aura disparu : non pas qu’elle se sera éteinte, mais qu’elle ne sera pas tenue pour différente d’un acte de raison — ou plutôt, que la folie aura débordé sur la raison : « Artaud appartiendra au sol de notre langage, et non à sa rupture » ; je ne sais les conséquences qu’il en tire, je n’ai pu lire que les quelques premières pages tandis que le monde autour venait les percuter et donnait à l’hypothèse des accents de prophéties terribles, au moment où l’on bombarde des maternités pour des raisons tout aussi folles qu’implacablement logiques du point de vue de celui qui jette les ordres et qui pourrait lancer tout le reste, tant qu’il y est.

La pluie qui tombe dans la mer a-t-elle atteint son but ? — et les enfants, sous l’averse, qui la boivent, aussi ? — et nous, courant pour l’éviter, et échouant, mais esquivant bel et bien telles ou telles gouttes : que faisons-nous ? — le vent ne tombe que pour constater ce qu’il a fait et pour se relever plus tard, plus féroce, plus indifférent encore si c’était possible, plus proche de nous, je ne sais pas — je me souviens de cette image prise, la semaine dernière, au cours de cette marche dans les calanques, la grotte ne laissait pas le temps durer de la même manière qu’au dehors ; observer le ciel, depuis ce dedans humide et dense, semblait dès lors relever d’une magie perdue ; on y sentait le poids insoutenable d’être loin du monde et de ses malheurs, et d’en être, pour cela même, plus terriblement proche.