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on sait le dehors hostile, et les foules déchaînées
dimanche 12 juin 2016
On a peu d’abri : on n’en cherche pas. On sait que le ciel est vide. On sait que la ville est inhabitable. On sait combien ne suffira jamais la nuit. On sait aussi qu’on ne lui appartient pas vraiment. Vraiment, on sait mille choses : la vitesse de la lumière au siècle près, et le bruit que font les balles, ou la date des morts. On sait aussi qu’on ne survivra pas à ce monde. Oui, on sait beaucoup de choses, comme par exemple : que le ciel est vide, et qu’on est sans abri.
On sait le dehors hostile ; et le dedans fragile ; on sait qu’entre les deux évoluent nos semblables, nos frères : on sait la sauvagerie parfois désirable quand elle nous arrache à nous-mêmes : on sait qu’il est d’autres sauvageries, celles qui se déchaînent dans les cris et sur les corps, sur nos frères et nos semblables, par nos frères, nos semblables. Marseille, quelques heures, sur quelques rues hier livrées à des fureurs : on regarde les images, on reconnaît les rues où souvent on vient saluer la mer et voir le large ; on est sans recours ; on détourne les yeux, que faire d’autre ?
On sait le temps où l’on est, et qu’il est soumis à la surveillance la plus policière autant qu’à la violence la plus subite : on sait que dans l’époque sans horizon où on est plongé, les foules portent à la fois en elle la beauté la plus ravageuse des soulèvements et la bêtise la plus hideuse ; qu’une foule est peut-être cela : un déchaînement – et quand elle se déchaîne sur elle-même, elle ne peut que se briser et avec elle des crânes, des cafés et des soirées entières.
On est sans arme : on est sans savoir. On est – dans l’ignorance où on se tient, et dans le dépit, dans la tristesse infinie de ces soirées saccagées pour rien – muet. On a un peu honte aussi. On a de la peine pour ces hommes juste dessaoulés qui ne se souviennent de rien. On va chercher un dimanche après-midi dans le ciel non pas une réponse ou une consolation, mais du large. On trouve du vent. On sait que dans le vent réside d’autres forces. On ne sait pas lesquelles. On reste l’après-midi allongé dans l’herbe en lisant lentement, à la recherche d’autres forces dont le déchaînement lèverait des mondes au lieu d’anéantir sur des crânes vides une table pliante. Ici, on sait que ce n’est pas sans espoir. On sait que le vent est alors à sa tâche : en remontant boulevard Michelet vers l’avenue du prado, les gobelets vides et les bouteilles de verres roulaient le long des trottoirs.