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Perspective stream_
Jérémie Szpriglas
vendredi 6 août 2010
Schumann, Quintette avec piano en mi bémol majeur op. 44 — 3 — Scherzo. Molto Vivace
Martha Argerich and friends...
« Proust nous a gâché la vie » — c’est ce qu’hier j’ai pensé, descendant l’allée bordée de pins. J’avais dans la tête l’image nécessairement fantasmatique d’un ciel noir chargé de rouge incandescence, acharné à sombrer un vaisseau naïf sous l’onde ténébreuse, lorsque cette odeur d’été, arbres secs et salés, mêlée d’iode, de sable, de vent humide, m’a replongé aux aubépines, fugitive exhalaison — exaltation soudaine, dont l’autre m’a floué de son trait de génie. Envoyée par le fond — comme le reste — ces quelques phrases dénouées d’un quintette merveilleux — ces gigantesques flaques de soleil, dégoulinant sur la moquette d’un salon de vacances enfantines — ce phare magnifique dont on devine le souvenir faïencé et colimaçonesque — ces couleurs qui semblent inaffectées par le temps, décoration préservée par le doux Vésuve d’une occupation saisonnière et erratique — ces postures que le corps a retenu — ces draps rétrécis par trente ans qui ne les ont pas usés — le vélo qui ne s’oublie pas — un Monet oublié.
« Proust nous a gâché la vie » — réduits aux plats clichés — ne plus pouvoir avec cet étonnement tranquille contempler vieillir les objets familiers, aux contours tendrement contournés d’un doigt pensif — ces goûts fantômes, ces spectres aimables — ces listes absurdes. J’ai rappelé alors l’image d’un vieil homme courbé par les ans et les heures de copie innombrables. Installé — fondu dans la pénombre double —, majestueux, à la console de cet orgue qu’il tient depuis vingt ans, les mains larges — lourdes, pataudes, elles semblent celles d’un marin — posées sur les trois claviers empilés, prêtes à l’agilité, prêtes à s’envoler, on devine déjà un sujet ascendant, innocent d’apparence. De cette image, je ne veux point de paroles, elles sont superflues. Peut-être un rai de lumière traversant en oblique la nef dépouillée et silencieuse en ce soir chargé de senteurs chaudes — on devine un mois de juin finissant et rougeoyant au dehors.
Je recherche dans ce chant encore absent perspective, empilement, juxtaposition — digression peut-être. J’y cherche le dire qui me démange — et déjà l’allée bordée de pin s’épuise sous mes pas et s’ouvre devant moi le ressac amer. Le parfum léger s’évanouit, je le laisse fuir sans le saisir — qui l’entendrait. Il reviendra sans doute avant peu, qui s’en soucie — et ma plume paresseuse, sans cesse rouillée, qui ne sait que lui, se retrouve finissante et anxieuse face aux tortueux labyrinthes qui s’offrent à elle. Elle ignore tout comme moi pourquoi, depuis que la pointe fragile et unique fut remplacée par une multiplicité dactyle, la ligne ne s’est pas éclatée, déployée, harmonisée.
Le premier vendredi du mois, depuis juillet 2009, est l’occasion de Vases communicants : idée d’écrire chez un blog ami, non pas pour lui, mais dans l’espace qui lui est propre. Autre manière d’établir un peu partout des liens qui ne soient pas seulement des directions pointant vers, mais de véritables textes émergeant depuis.
Pour les Vases communicants #13, j’accueille Jérémie Szpirglas - à suivre sur son blog qui mêle musique et littérature (et photographie), et dont je jalouse le titre (suis pas le seul, pour sûr) : l’inachevé
Jérémie et moi partageons ces jours une connexion déficiente — la semaine prochaine, sans doute, je dirai quelques mots sur son site, et combien cet échange a pour moi, du sens.
Merci d’ores et déjà à lui pour l’accueil sur inachevé.net
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