Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > pour être purs quelque part
pour être purs quelque part
mercredi 13 avril 2011
In My Room (The Last Shadow Puppets, ’The Age Of The Understatement’, 2008)
Écrire, et comme respirer ta vieille odeur insipide de gouffre, surprendre l’étincelle dans ta fourrure horripilée de louve… écrire l’aigreur de la soif… nous récoltons la fange, ici, la fange basse, pour être purs quelque part. une écriture initiale, obscène, agonique — qui se précipite, sans hâte, à sa seule sauvagerie…
Jacques Dupin, Ballast (extrait de ’Fragmes’, in Échancré, 1991)
Le rythme, cela commence au troisième coup — le deuxième quand il est encore second n’est qu’une répétition ; le premier coup, lui, n’est là que de rompre, déchirant quelque chose de tendu au-dessus du bruit de fond inaudible qu’il fait entendre soudain, et voilà tout. Non, le rythme, c’est au troisième coup qu’il naît, rendant en arrière de lui les deux premiers coups essentiels, irrévocables, lancés pour toujours jusqu’à moi.
Le troisième jour donc, ce mercredi, chaque heure à sa place — depuis lundi, apprentissage d’un nouveau rythme et ce besoin de hiérarchiser les minutes : la liturgie de mon travail sur le temps. Tout l’exige dans le travail et la vie qui s’y ajuste (c’est le contraire aussi). Heure de lever fixe, et les rituels, précis, se constituent ; rituels que j’invente pour scander les autres heures, immuables, qui m’attendent, le savent, chacune à son rôle, chacune son office. La table de travail : la première heure consacrée à cela, écrire : récolter la fange, basse. Puis lire. Les livres sont déjà prêts. Puis le labeur de la lecture quand on l’écrit : puis, le reste : un assez long travail s’ensuivit.
Heure une : Sauvagerie des écritures premières, celles que je ne montre pas, que je ne place pas ici, dans ces carnets qui les refuseraient — sauvageries gagnées sur le vide de la nuit prolongée : combien j’en ai besoin pour seulement continuer (encore).
Heure deuxième : Écritures secondes, dans ces carnets directement : trouver l’image, le bruit qui la précède, la phrase qui lance la mienne. Aller, appeler ça aller. Ensuite, cela peut-être possible. Seulement ensuite.
Heure troisième : Elle dure jusqu’au soir, de dix heures à vingt heures, c’est directement le travail qu’on dit rédaction (de thèse, ce prétexte) — quand il n’est simplement qu’apprentissage de la lecture, et comment elle met en mouvement sa propre langue.
(Hier, j’ai rompu la journée par un sacrilège. Deux heures, j’ai repris une lettre commencée la veille, manuscrite — je pensais qu’il ne faudrait que la terminer, achever la phrase, mais non : continuer la lettre jusqu’à mordre sur l’après-midi. Le rite ne s’est pas trouvé interrompu pour autant, au contraire. Mais accompli ?)
Chambre basse aux rites de peu, qui me soutiennent comme l’air le vol d’une plume. Un coup de vent, bien sûr — on n’est jamais à l’abri dans le ciel, nulle part — fait tout effondrer (et c’est pourquoi je travaille fenêtre ouverte aux bruits de cette ville qui n’en est pas vraiment une). Ce peut être une lettre, un cri dans le crâne, l’appel du dehors. Mais cela tient ma journée ensemble, une sorte de lutte pour tenir chaque heure dans sa tâche.
Cela fait bien une journée : demain, le quatrième coup — le rythme s’accélère, ne pas rompre.