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projets pour une vie future

mardi 7 septembre 2010



Bookstore (Jon Brion ’Eternal Sunshine Of The Spotless Mind’ )


Et en rentrant seul chez lui, à cette heure où les conseils de la Sagesse ne sont plus étouffés par les bourdonnements de la vie extérieure, il se dit : « J’ai eu aujourd’hui, en rêve, trois domiciles où j’ai trouvé un égal plaisir. Pourquoi contraindre mon corps à changer de place, puisque mon âme voyage si lestement ? Et à quoi bon exécuter des projets, puisque le projet est en lui-même une jouissance suffisante ? »

Baudelaire, Petit Poème en prose, ’Les Projets’


Les livres accumulent avec eux les projets — non pas seulement de les lire, ni même (non) de les écrire : pas non plus aussi celui de les vivre : autre chose qui dispensera un jour de s’en souvenir, mais de parcourir un peu comme en soi-même le mouvement qui rejoindrait celui qui les aurait écrits et lus et éprouvés — et de tous ces projets, je crois bien, il ne restera pas grand chose, dans un un an, hors celui qui les a fait naitre (qui est de lire, d’écrire, d’éprouver).

Hier, ai repris ma carte de train : ’carte fréquence’, disent-t-ils ; c’est le mot juste. J’ai droit à des réductions, mais sur un unique trajet. C’est un projet, aussi, que de partir. Même réduits les frais, et le trajet seulement unique, j’aurai droit à choisir l’heure, et l’endroit du train où (ne sais pas pourquoi, mais depuis un an, je ne m’assois jamais là où me l’indique mon billet : superstition).

Peu importe la direction, répète le cliché, seul compte le chemin. Oui, mais quand le chemin est le même, repris dix fois le mois — et que le projet toujours diffère ?

Densité des moments du train : depuis deux mois que je ne le prends pas, je ne lis pas à même vitesse. Quand il faudra le retrouver, qu’est-ce qui changera de lire, d’écrire, d’éprouver ?

Les projets forment une pile dans le crâne — comme les livres, c’est toujours au milieu qu’on voudrait chercher : et toute la pile s’écroule alors. Penser : ce qui compte, ce serait moins le projet que le désir de formuler des plans, sur un coin de table — plan de bataille sans armure, et on n’aurait pas à attendre le soleil d’Austerlitz se lever, on se coucherait à même le sol sous la lune, on entendrait les trains passer au loin, avec son corps dedans qui lirait à la vitesse de la lumière.