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puisque beaucoup de choses nous affligent
jeudi 2 février 2017
Peu de chose nous console. Beaucoup de chose nous afflige.
Qu’on regarde les informations ; qu’on lise les nouvelles ; qu’on observe la situation historique depuis l’endroit minuscule où on va, où on est ; qu’on lève les yeux au ciel, indifférent ; qu’on les pose sur la terre, indifférente : tout est ce gris sur gris, ce qu’on savait déjà et que chaque jour confirme avec plus d’évidence : que l’organisation du monde échoue chaque jour évidemment à organiser ce monde, et qu’il continue malgré tout, ou grâce à cela, d’aller.
L’homme est certain de ne pas se tromper.
Relire les Poésies de Lautréamont, ce soir, quand la nuit essaie de tomber : console un peu. On est moins seul. On sait que sur d’autres endroits de ce réel aussi, on n’est pas seul : on se dit, lisant Lautréamont, l’important est ce savoir-là qui nous possède aussi, qu’on sait des frères et des sœurs quelque part lisant sans le savoir Lautréamont en eux, et regardant le ciel indifférent et la terre, pensant : il faudra faire quelque chose de toute cette indifférence et de tout ce monde qu’ils ont prétendu organiser et qui file entre leurs doigts.
Jusqu’à présent, l’on a décrit le malheur, pour inspirer la terreur, la pitié. Je décrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires.
Des puissants et du pouvoir, résolu de m’en tenir éloigné : ce n’est pas comme si c’était une retraite, une défaite. Le pouvoir ne salit pas : il est devenu sale. 2017, on est un siècle après ce moment où le pouvoir avait pu être cette chose conquise comme pour la première fois : et cela aussi, de ce siècle entier après lequel on est, que faire ? Hier, dans un café d’Aix-en-Provence, les trois types au petit matin, adossé au comptoir, commente le journal : saluent les crapules bafoués dans leur honneur, crachent sur nous tous.
Toutes les lois ne sont pas bonne à dire.
Mais où exercer sa puissance, malgré tout ? Dans le travail qu’à soi on s’impose, une forme d’intransigeance aussi, radicale, à fabriquer en soi et autour de soi des territoires isolés du pouvoir, où le pouvoir s’exercerait à l’envers, comme une pulvérisation. C’est peut-être ici que nous autres, qui pensons que l’art est un des espaces possibles d’émancipation, tâchons d’aller : c’est pour cette raison, que l’art n’affecte pas l’ordre du monde, que nous allons : parce qu’elle affecte davantage, dans les perceptions posées sur le monde, et nous charge de cette question : que faire de ce monde ?
L’amour ne se confond pas avec la poésie.
Il y a des phrases de Lautréamont aussi qui sont inacceptables, agissent en nous comme des secousses, et qu’on aimerait traverser comme des remords, qu’on voit passer devant nous comme des trains qui partent trop vite emportant tout avec eux. On avance après elles aussi, tant pis pour nous et nos secrets.
Cache-toi, guerre.
Il faudra continuer de regarder les informations et consulter les nouvelles : chaque jour en apportera une. Il faudra continuer de s’armer contre ce présent, doucement : et fabriquer en soi les contre-poisons de tous pouvoirs, ceux qui nous hantent et nous menacent, ceux qu’on essaiera de nous imposer. Prendre le pouvoir, cela voudra dire : s’en démettre. Et organiser le réel contre tout ce pour quoi il a été conçu ; vaste tâche, sur laquelle la terre passera aussi, indifférente, et inconsolable - cela seul consolera, et nous fera cracher dans la mer infiniment.
Il n’y a rien d’incompréhensible.