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puisque le désespoir ne tient pas de journal
dimanche 12 août 2018
Toutes les couleurs disparaissent dans la nuit, et le désespoir ne tient pas de journal.
Annie Le Brun,
Les châteaux de la subversion (1982)
Bob Dylan, The Night We Called it a Day
La nuit tombait avant-hier sur toutes les choses mortes, et nous en faisions partie.
C’était peut-être l’époque qui voulait cela : que sur toutes choses elle allait proclamant la fin, moins pour qu’on les regrette que pour les voir, enfin : et on les voyait, enfin, ces choses mourantes qui se jetaient sur nous sans un cri, avant de disparaître avec le silence.
De l’autre côté des choses finissantes, la ville était insaisissable : évidemment. La ville suivait le mouvement de la rotation de la terre. C’était neuf heures quelque part dans Marseille, et neuf heures du matin à Mahina : au même moment, de l’autre côté du ciel, l’aube déjà commençait ce que le crépuscule ici peinait à finir – évidemment, on pense à cela, on cherche des leçons morales et politiques, on en trouve pas plus que l’homme qui, de l’autre côté de la plage, avec son détecteur métallique, cherchait l’or du temps perdu.
On préfère regarder de l’autre côté de nous, vers le soir qui s’acharne à fabriquer du jour.
Lu cette phrase tout à l’heure de Thomas Man : le langage peut bien célébrer la beauté, mais n’est pas capable de la restituer. Et je suis soudain de toute ma vie en désaccord – et peu importe. Rendre la beauté ? Ou l’inventer ? Je serais toujours de ce deuxième côté des choses, décidément : et cela aussi, peu importe.
Face à cela, rien n’importe : et la seconde d’après : face à cela, il faudrait que tout importe, la couleur des yeux et le poids de l’or perdu, la tristesse des enfants, et la colère des vieillards, l’indignité, et le courage, et face à la lâcheté, l’absence de peur – face à des soirs comme ceux-là (il n’y a personne sur la plage pour le voir), tout devrait importer pour rendre justice à ce qui est, ce qui s’efface pour toujours.
Songeant à cela, je me retourne et la ville tremble.
Avant de disparaître
Impossible de faire le point au milieu de ces jours : seulement noter ce qui disparaît, ce qui lutte contre le désespoir, et ce qui œuvre pour inventer des nuits qui seraient des jours, et des jours qui deviendraient des nuits.