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que le commencement
vendredi 1er février 2019
Elle me dit son nom, celui qu’elle s’est choisi : « Nadja, parce qu’en russe c’est le commencement du mot espérance, et parce que ce n’en est que le commencement. »
André Breton, Nadja
(Live, 1er avril 2005)
Il y a des jours insupportables que quelques heures justifient pourtant. C’est le bleu des heures arrachées aux heures perdues, c’est courir, c’est perdre haleine, c’est cette musique ce soir, c’est le ciel livré aux animaux seuls, c’est le bruit de pas dans l’escalier du matin, c’est la force des foules aussi, c’est quelques phrases sur un plateau de théâtre au milieu de l’ennui terrible, c’est Pasolini quand il écrit le mot rage, c’est mon aversion pour les listes qui passe aussi par l’établissement de telle liste pour en finir avec, c’est la forme des mains quand elles reposent, c’est les yeux fermés quand on les regarde : c’est voler quelque chose à soi-même.
C’est tout cela, et c’est aussi : ce qui n’a pas de nom dans aucune langue.
Le vent fait un bruit terrible dehors, j’ai l’impression qu’il m’appelle ; il crie plutôt – il fuit. Son ombre peut-être ? Lui aussi cherche sans doute à justifier l’existence de ses heures parmi la nuit.
Je dépose mon ombre pour vérifier ma présence : le résultat n’est pas si convaincant. Je ne me reconnais pas. Ce que je reconnais en revanche : que le temps ne passe pas de la même manière quand on a dormi trois heures la nuit dernière.
Après la fatigue, il y a l’épuisement ; et après l’épuisement, il y a peut-être le matin. On ne sait pas ; il y a peut-être le contraire du matin : les horaires de bureau.
Sur mon ombre, je vois mon regard ; je vois ce qu’il regarde de la nuit, ce qui traverse la nuit – et à travers la nuit, le miroir qu’est la nuit et qui renvoie sur moi d’autres regards, et des cris. Mon ombre sur la vitre : moi sans la peau – autant dire si peu de moi. Dehors, la ville pourrait passer comme le temps, je lui dirai après toi, je te suis, je règle mon pas à ton allure ; je laisserai mon ombre ici.