Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > sagesse du mendiant
sagesse du mendiant
mercredi 21 septembre 2011
Dans cette ville comme en mon propre rêve : quand chaque lieu est un signe qui se retourne vers moi, une figure qui me peuple, et qui s’adresse à moi : tous ces fantômes de moi qui se portent sur ces murs comme pour dessiner à la craie sur un tableau quelques phrases que seul je saurai lire parce qu’ils sont de ma main, au geste illisible de mon poignet –
mais signes qui parlent en moi leur langue étrangère, je passe des Grands Moulins à Bercy, il y a cette moto renversée dans son sang noir, plus loin, un autre trottoir, un fauteuil renversé comme un frère, et pour quelle chute, les feuilles tombent aussi, je continue – il y a des couples qui pleurent : non, pas des couples, seulement le garçon, penché sur l’épaule de la fille, qui sanglote lentement, comme on apprend une leçon et qu’on la récite parce qu’y dépend notre vie : je croiserai un autre couple, ainsi penché, et les larmes : quelles signes ;
le reflet sur chaque lieu de cette ville est en moi, je serais bien ce qu’elle abrite, et lorsque je marche sur elle, dévore une part de ma propre chair : m’y enfoncer, ou la fuir, est le même pas : c’est pourquoi j’écris je marche la ville : elle le sait, elle, et se laisse faire ; c’est un rêve, il défigure ma réalité comme sur un visage le lent passage d’une feuille de papier aiguisée :
cette nuit encore, quand je la quitte, cette ville, il y avait ce couple, ces larmes, les paroles qu’on n’entend pas, qu’il ne faut pas profaner ; il y avait un pont à ne pas franchir parce que de l’autre côté coule un autre fleuve ; il y avait des étoiles une à une franchies, dessinées au tableau qu’on efface comme un baiser sur des lèvres pécheresses, oui.
Dans l’éloignement de l’éloignement, Notre Dame aussi, le pont laissé seul, et le regard du mendiant qui savait ce que sait d’un regard celui qui appartient désormais à l’épaisseur de signes de cette ville et qui vient me dire mon nom pour que je le reconnaisse ; et moi je suis passé, désirant à chaque pas reculer la ville en moi, ou en retirer sa brûlure –
il y avait partout comme l’évidence d’évoluer au milieu de mon bannissement, et voir sur le sol, cheveux arrachés du fou, les traces de mes propres pas qui me précédaient quand je leur tournais le dos. Il y avait la voix du mendiant au-dessus de la nuit, qui disait un secret, ces secrets dont on est possesseur dans nos rêves, et qui nous sont ravis dès l’éveil, et donne soif – la ville intérieure s’est retirée de nous, c’est le jour, il faut y prendre part : le rêve lance en moi la douleur impossible à désigner en dehors du rêve que j’écrirai sous la forme de cette ville et des signes abandonnées qui la jonchent.