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sans vis-à-vis
mardi 15 décembre 2009
C’est ici qu’on range les archives : on a dressé de solides étagères de bois qui se font face de part et d’autre du mur ; la salle est tout en long — au dernier étage, les fenêtres donnent sur les toits, on est ici sans vis-à-vis.
Les étagères de gauche sont pleines (quand je passe devant la salle la première fois, je ne peux m’empêcher de jeter un coup d’œil à l’intérieur : je rentrerai à mon deuxième passage, furtivement ; m’attarderai à mon troisième) : les étagères de droite sont vides ou presque.
À gauche, on a empilé les thèses, les exemplaires (religiosité et expérience chez les poètes américains du XIX : 1803-1894) y sont en plusieurs volumes (l’impossible sujet de W.T, ou la fascination du vide), jetés là en vrac (droit et regard dans le théâtre de l’est américain : 1907-1975), les uns au-dessus des autres (écritures chicanos : 1902- 1945), sans ordre (peuplements du récit dans les fictions biographiques — 1846-1987).
Je rêve sur les dates, leur précision terrifiante qui sont pour moi d’un arbitraire magnifique ; je sais pourtant qu’ils justifient une partie du travail, que ce sont ces dates qui donnent parfois sens à ces recherches. Mais décrochées du reste, elles valent moins que celles qu’on lit au hasard de nos marches entre les tombes d’anonymes.
Je reste longtemps à lire les titres de ces exemplaires sans doute ouverts mille fois par leur auteur, dont chaque mot pesé est l’histoire d’une vie ou presque — et qui se sont retrouvés dans ce cimetière sous les applaudissements, les honneurs : nombre de pages scellées et avec elles, leur part d’audace et d’échec, ce qu’elles ont dû déplacer de savoir mort pour mourir une deuxième fois ici — c’est inimaginable.
Cinq étagères de trois mètres de haut emplies de thèses jaunies, des centaines peut-être.
En face, sur les étagères de droite, il n’y a presque aucun livre. Mais il y a des étiquettes sur la base de chaque rayon qui indiquent des sections : une moitié pour Thoreau, une autre pour V. Woolf. Etc. Des noms surmontés par des emplacements vides.
Sur l’une des étagères, il y a une bouteille d’eau posée (depuis combien de temps ?), au trois quart vide, sale, un dépôt noir au fond — elle appartient à la section Samuel Beckett.