Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > sarcophage (que l’on referme)
sarcophage (que l’on referme)
mercredi 12 septembre 2012
jour après jour, après jour, le chantier accomplit sa fin, on commence seulement à voir à quel immeuble il ressemblera jusqu’à sa destruction.
ils ont posé les vitres, la semaine dernière, ou hier, et encore aujourd’hui, comme sur un tombeau, mais pour qu’on puisse voir à travers : comme pour un tombeau pourtant.
une vitre après l’autre, j’imagine le travail, à bout de bras, montés sur les épaules des autres, j’imagine, la pesanteur (et j’imagine aussi : le bruit que cela ferait, si on lâche une seule vitre de verre pur sur le sol depuis là-haut)
travail de précision, mais qui le verra ; l’ouvrier dans sa solitude tire les fils, qui resteront invisibles. ceux qui allumeront la lumière ne verront même pas la lumière, mais l’objet à prendre, dans l’insomnie, pour la calmer. c’est tout.
c’est une vitre après l’autre, que l’on pose sur le vide, pour conjurer quelque chose qui tiendrait de la catastrophe et du retard. Babel si proche qu’on ne croit plus en elle. Moi, je crois en elle.
quand ils ont creusé les fondations, j’étais là pour les voir, ces trous que la pluie recouvrait, et j’aurais voulu planter quelque chose, jeter des cheveux, déposer tendrement des crachats moi aussi comme la pluie sur le trou. je n’ai rien fait.
quand ils fermeront la dernière porte, je serai où.
et quand tout s’effondrera, Babel encore.
cet immeuble s’est dressé comme mon désir, une page après l’autre, a pris forme du désir plus grand de le rejoindre, de bâtir avec lui un sarcophage de verre où tout serait de précision, et d’inutilité — inventer le monde comme on fait un enfant pour le marcher enfin plus longtemps, et croire au miracle, puisqu’on l’aura ainsi produit. être l’enfant de cette pensée, à jamais.
sauvagerie joyeuse de mordre dans la blessure.
je me suis coupé tant de fois aux vitres de verre, ceux que j’ai moi-même montées de mes mains, et installées aux fenêtres donnant sur le vide, que je n’ai plus peur de tomber, seulement hâte que la chute épargne mon corps.
au fond du sarcophage, corps de poussière, qu’on prendra pour de la poussière (moi, je verrai le corps, et le sourire)
pupille de cendre.
éclat rouge, sang écoulé comme du temps, sous le ventre.
œuf noir.
ciel ouvert, vue sur le vertige.