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soir à montorgueil
mardi 6 juillet 2010
Marion Barfs (Clint Mansell)
Les mots de ceux qu’on frôle dans le noir alors qu’on marche sûr de soi et de sa direction, et en face, eux aussi ; alors on se croise comme on avancerait chacun dans un couloir différent, et les conversations qu’on saisit à la volée, au passage, quand on est à hauteur et qu’on entend : il n’est pas mort de ça
— , ceux-là qu’on ne croisera plus jamais, c’est en bas de Montorgueil (le soir de la lecture), allée Breton dans les Halles, à l’ombre de Saint-Eustache, on a du Clint Mansell dans les oreilles, bloqué sur un même retour de notes et fonction retour à l’infini pour ne pas avoir de début à entendre jamais et ni de fin, encore moins de fin mais entre deux passages de la même piste il y a du silence, forcément, et qui s’engouffre : il n’est pas mort de ça, non, pas de ça,
ont-ils dit, et le groupe d’après, en nombre plus restreint, ils doivent être cinq ou six, on entend, quand on souffle à côté d’eux, et que de nouveau, la piste cesse et qu’on saisit : il s’est écroulé dans la seconde ;
et cela dit sans ton ; on a du mal à comprendre pourquoi : on fait le lien (et on a du mal à comprendre pourquoi on fait le lien) entre les deux groupes, comme une seule conversation prolongée, un même tissu de phrase qui se poursuit, et je suis là pour la recevoir, deux minutes de musique, plus fort encore, je m’assois et dans le silence de pas même une seconde, un type derrière moi (seul ?) lance, à son tour : il est mieux où il est —
ils parleraient tous de la même personne ? ; il ajoute : moi je le connais il aurait jamais
et il se tait soudain, et pleure, je veux dire : comme un enfant qui pleure sans raison : non, pas comme un enfant, comme le vieillard hier à la télévision qui pleurait son enfant mort : et je me retourne, sans doute un junkie, ici, c’est un endroit idéal, mais je ne vois rien, les arbres, et le noir partout, et au loin, quelqu’un qui crie dans un éclat de rire : ce n’est pas moi
et je me lève, je pars en courant — ce soir y pense pour la première fois quand dans le rêve cette nuit je croise des foules qui parlent haut et ne me voient pas ; quand je veux lever les yeux, il fait jour et la rue est vide.