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tendre visage
samedi 19 janvier 2019
Je crois vraiment que ton plus grand malheur réside en toi-même. Ce qui est affligeant, et qui vient de l’extérieur – tu n’as pas besoin de m’assurer que c’est vrai, car je le sais bien, du moins en grande partie –, est certes du poison, mais ça peut être surmonté, ça doit pouvoir être surmonté.
Lettre de Ingeborg Bachmann à Paul Célan,
datée du 27 septembre 1961,
non envoyée.
Jacques Douai, Le tendre et dangereux visage
Le chien qui hurle dehors, depuis une heure, à la lune ou à toute cette vie entière, est comme l’homme qui, hier soir, frappait sur les poubelles de toutes les forces qui lui restaient en pleurant, qui est comme l’enfant apeuré devant la solitude et qui sanglote sa peur sans pouvoir la nommer, qui ressemble tant à la jeune fille endormie dans son cauchemar, qui ressemble tant à moi.
Dans le rêve, on courrait pour passer la frontière, on gagnait la forêt au moment des premiers coups de feu. C’était un rêve joyeux, nous nous tenions la main.
Je ne sais pas de quoi demain sera fait : pas d’aujourd’hui.
Sur le mur, le visage porte toute la ville. Je le regarde songeant à d’autres vies, quelque part enfouies au Guatemala, à Stockholm (je n’ai jamais vu la lumière sur la mer au large de Stockholm quand il fait de l’orage) ; je le regarde en songeant à Rohmer, à certains plans que fait le cinéma quand il refuse de dire ce que sera le plan à suivre.
Mes nuits fractionnées d’insomnie sont les nôtres, en partage.
Le bruit de pas des flics dans les rues, je ne l’ai pas entendu aujourd’hui ; sur la plage, mes regards vers La Plaine s’enfonçaient en moi-même. Il n’y avait pas de vent, les nuages pouvaient sans crainte jouer avec le soleil parce qu’ils savaient que de toute manière il l’emporterait. J’étais cela aussi : l’absence de vent, et le ciel entier livré au saccage, et la déchirure, et le soir, la lune se dresserait pour faire hurler les chiens et pour que je la regarde, sûr qu’on la regarderait ensemble.