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théorème d’Archimède (propositions)
dimanche 20 décembre 2009
Depuis peu, c’est le froid au visage qu’on éprouve au dehors dans la grande aspiration des rues contre soi : le froid qui secoue le corps depuis le crâne jusqu’aux doigts, qui fait trembler chaque pas ; le froid qui arrête et qui en même temps fait marcher plus vite — on entre dans la ville comme un corps plongé dans l’eau ; on est redressé au-dedans de soi par plus fort que son propre poids.
« Tout corps plongé dans un fluide au repos, entièrement mouillé par celui-ci ou traversant sa surface libre, subit une force verticale, dirigée de bas en haut et opposée au poids du volume de fluide déplacé »
On avance le dos un peu courbé et le menton appuyé contre la poitrine, les mains au fond des poches en recherche de plus de prises, et un pas gagné sur l’autre voudrait tirer en arrière de soi le trottoir qui ne se laisse pas faire ; dans le froid, les équilibres trompeurs des forces jouent toujours en faveur de ce qui est en face de nous et qui oppose à la marche un mur opaque qu’on ne cesse pas de traverser.
« Un corps plus lourd que le liquide où on l’abandonne descendra au fond et son poids, dans le liquide, diminuera d’une quantité mesurée, par ce que pèse un volume de liquide égal à celui du corps. »
Devant les ponts de la ville, quand on lève les yeux, la neige tombe à l’horizontal, passe sous les colonnades de béton et coule au-dessus du fleuve : deux parallèles qui se rejoignent à l’infini. On ferme les yeux une seconde devant un coup de vent plus féroce qu’un autre et quand on les ouvre de nouveau, la ville a changé de couleur, de place, et de forme.
À force de pousser dans la masse inerte de la ville, le froid a fini par s’enfoncer dans nos propres corps et lorsqu’on respire, c’est du froid qu’on expulse sous forme de buée mouvante. Quand elle retombe, c’est de la neige : on respire sur la ville les flocons qu’on a accumulés sur elle ; on est la propre force appuyée contre la ville : on est son corps immergé sur elle.