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une vie, ou l’imminence
dimanche 2 octobre 2016
[/Rien n’a d’importance, et je crois que bien des gens ont considéré la vie comme un enfant turbulent, en soupirant après le calme qu’ils allaient enfin connaître quand il irait se coucher.
Pessoa, Le Livre de l’intranquillité/]
Celui qui a écrit, rapidement, comme en fuyant, UNE VIE sur le rebord de muret face à l’université, est-ce qu’il voulait déposer sa vie, ou seulement en arracher une, une autre, une plus grande ou plus simple, une possible, une qui recommencerait, une qui en finirait avec la vie, celle que la vie impose malgré tout et qui exige des réponses aux questions qu’on lui pose, et qui s’échappe quand on lui trouve une forme ?
Que la création du monde soit ce mouvement qui jamais ne se termine : voilà une raison de croire (heureusement, toutes les autres raisons de croire rendent impossible la croyance). Jamais la vie ne s’achèverait : on pourrait même l’écrire, même la vivre. On pourrait la déposer sur un muret au milieu de la nuit face à la gare avant de prendre un train sans voir la direction, qu’est-ce que cela changerait ? Tout.
Ces derniers jours sont ceux qui précèdent. Une vie toute entière prête à mordre, à dévorer, à s’échapper. On serait juste avant. On se tiendrait devant la porte avant d’entrer. Ou juste avant que la vague ne vienne s’échouer sur les pieds, juste ce moment avant l’immensité de l’océan sur une parcelle de peau qui aurait rejoint New York depuis Pointe Rouge, juste avant. Avant qu’on touche le sol après s’être élancé depuis la hauteur de son corps : avant de sauter dans les flaques d’eau plus petites qu’une fourmi. Et avant le silence qui suivrait la dernière note, avant la dernière image qui nous rendra vivant et dehors, loin du film, loin de tout, vivant de nouveau, enfin, dans cette vie nouvelle.
La pluie tombe très fort ce jour-là (c’était hier : je n’écrirai donc que les jours passés, les vies disparues) et je la regarde couler le long des murs, j’essaie de comprendre les courbes et les vitesses, j’apprends à connaître les habitudes qu’elle prend dans ce coin du monde que j’ignore, où la pluie sait tomber pour la joie de suivre sa pente. La vie qui vient tient de cette pluie, de ses lois neuves. Pluie qui m’apprend tout de son destin qu’elle dessine elle-même, lâchée au hasard d’elle-même. La vie qui vient est le contraire de disparaître. Le contraire du destin. Le contraire d’un livre : comme une façon d’écrire plutôt. La vie qui vient ira où elle veut, choisira les espaces où aller et s’éloigner de moi.
Sur le muret, je regarde ce mot pensant qu’il est écrit pour moi : sachant qu’il est écrit pour moi, et je l’endosse comme ma vie, celle qui vient, qui est là déjà, que je n’attends plus tant je vais vers elle, allant comme la pluie tombée invente les pentes qu’elle emprunte pour donner corps et vie aux chemins tracées sous elle qui s’en vont.