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vagues cauchemars
lundi 20 septembre 2021
Les mots jouent, sur la pensée, le même rôle que la lune sur les marées. Armand Gatti, De l’anarchie comme battement d’ailes
D’avoir achevé ce soir ce texte en cours depuis presque deux mois (une rêverie étrange et inefficace sur le cauchemar – son rôle insurrectionnel – dans le théâtre de Marie NDiaye) me terrasse. Et puis, comme toujours, ce qu’il fallait dire, c’est en quelques mots qu’on finit par le lâcher, mais à la fin, ou presque, et en passant ; et c’est fini. On rend la copie comme toujours, comme autrefois : sûr d’avoir manqué la cible, comprenant, trop tard, que c’était soi-même la cible. Il aurait fallu écrire plus simplement que le cauchemar qu’est devenu le monde ne saurait être conjuré qu’en le rêvant plus horriblement encore, afin qu’il tombe à nos pieds, de terreur. Mais cela ne se dit : ne se prouve pas. Il aurait fallu écrire un long cauchemar, sans rien dire de Marie NDiaye, du théâtre, et de l’insurrection : seulement aligner les monstres, les crimes atroces, les ombres allongées jusqu’à soi.
Pour me laver de toute cette fatigue, j’irai saluer les surfeurs. Je les regarde longuement : ils passent bien plus de temps à attendre, dans l’eau glacée, ballotés sur leurs planches, qu’à surfer. Mais je comprends que c’est déjà surfer, attendre de surfer : que surfer ne sert qu’à mettre fin au geste de surfer, c’est pourquoi on le repousse jusqu’à l’épuisement. Quand ils ont esquissé quelques pas de danse avec la mer, vaincus, les surfeurs rentrent. La mer indomptée de nouveau, se poursuit. Comme toujours.
La jeune fille qui regarde le ciel tomber : que regarde-t-elle ? Je ne la vois que de dos. Cela aussi est l’image parfaite de cette vie : chercher à deviner le regard perdu sur ce que je ne verrai jamais, ces pensées intérieures face auxquelles le soleil s’incline.