arnaud maïsetti | carnets

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vie dans un fauteuil (vide, et l’appel)

mercredi 18 juillet 2012


je disais : rien ne console dans ces moments-là, que la pièce vide autour, qui grandit, et puis dans l’épuisement si je regarde parfois à travers mes yeux, c’est toujours le mur blanc sur lequel le bureau s’appuie, la nuit déjà — et pourtant (dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté)

il y a un fauteuil le mois dernier, rue tolbiac, qu’on avait apporté jusque là ; ce n’était pas un fauteuil ordinaire, mais rouge comme une chambre rouge, et les rideaux, comme le noir, oui — et je ne vois pas comment on pouvait l’en sortir, bien enfoncé là (le lendemain, il n’y était plus, évidemment, nous l’avions rêvé)

je pense à Zucco (le téléphone ne fonctionnait pas)

et à la neige sur la route du désert, la voiture entre les singes, et les luges qui dévalent les pentes de l’Afrique

la lettre interrompue, entre le A et le B

le temps qu’on prend (à qui) pour écrire cela, sur le temps pris, d’un travail comme une montagne roulée sous la pierre : la montagne reste là ; il faut l’imaginer heureuse elle, d’être immobilement là pour toujours jusqu’à la fin du mythe

je vois bien l’allégorie : le fauteuil parfaitement là ; la maison construite d’une cabine, et cette image sublime de l’attente vaine de ce qui ne viendra jamais, de ce qui est déjà arrivé

l’appel, l’attente de l’appel : vie comme une planche d’appel, où le saut lance dans le vide le corps qui viendra le rejoindre, abolir le vide

deux corps de sueur lancés l’un sur l’autre

hier, ce sont ces deux chaises qui m’y ont fait penser : je trouve rapidement l’image rouge ; et je pense de nouveau : au départ

l’un en l’autre (oh, le sacré de s’y abîmer, le sacré lentement, d’y puiser la vie même, jusqu’à ne plus éprouver que l’abîme, et s’y enfoncer encore, fermer les yeux)

demain matin, je serai à la même place, dix pages plus loin peut-être, je parlerai de cela aussi, et cela restera invisible, moi je saurai

(je pense au Nicaragua, aux légendes qu’on trace avec le doigt comme une caresse sous le ventre, légende sous l’image qui la dément, et l’invente, et je saurai l’écrire, de pur désir)

les yeux seuls sont encore capable de pousser un cri