arnaud maïsetti | carnets

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vingt-neuf fois mille et une nuits

mardi 10 janvier 2012


Jamais su où sur ma main la ligne de chance était gravée ; jamais pu reconnaître la couleur de mes yeux, entendu ma voix sans sursauter et me retourner, lâcher dans l’effroi : qui est là ; jamais su retrancher le nombre des morts en moi ; jamais entendu le bruit de l’eau de pluie tomber sur la plage en pleine nuit ; jamais vu non plus le sommet des toits dans Paris au coucher des soleils ; jamais montée plus haut que la cheville l’eau du Pacifique ; jamais eu froid à Montréal ; jamais levé la tête sur New York et m’entendre dire lève la tête : c’est la ville ; jamais bu la rosée en dehors de mes rêves ; jamais couru plus vite que moi ; jamais ; jamais vécu cinq heures douze du matin, toutes les autres minutes oui, mais pas cinq heure douze ; jamais réussi à compter les étoiles tombées ; jamais parvenu à regarder mes mains dans mes rêves ; jamais croisé mon regard dans mes rêves ; jamais été mordu par un chien dans mes rêves : ni caresser ce chien ensuite pour le consoler ; jamais vu mes cheveux blancs pousser ; jamais baigné dans un autre fleuve que moi ; jamais rêvé en espagnol dans un pays africain ; jamais été dans un pays africain ; jamais su dire autre chose que el manana en espagnol (et encore : avec l’accent chilien) ; jamais su dire : on y va quand ; jamais pris le train au hasard des destinations sur le tableau ; jamais vu l’intérieur du corps ; jamais brûler aucune flamme ; jamais aspiré aucune cendre ; jamais dansé sur les guirlandes ; jamais dansé ; jamais dire : c’est par là ; jamais m’être entendu répondre : oui, par là ; jamais posé sur ma ligne de chance la lame chaude du couteau et serrer le poing ; jamais pleuré en regardant l’étoile s’effacer ; jamais vu la terre après l’orage s’effacer ; jamais autant désiré la lumière en plein ; jamais cru autant essentiel chaque mot ; jamais vu briller autant de siècles ; jamais traversé de si longues coulées de boue et d’ivresse ; jamais tenté le diable jusqu’à le soumettre ; jamais creusé l’horizon de mes soleils aussi large ; jamais cru la mort éternelle ; jamais éprouvé la mélancolie du feu ; jamais approché de si près l’origine et la folie ; jamais voulu le désir comme l’approche de l’origine, de la folie, et du désir réalisé de l’amour désiré ; jamais dit avant ce soir vingt-neuf fois mille et une nuits dressées devant moi dans l’insuffisance d’une vie possible, qu’on réaliserait ni comme un rêve, ni comme un film, mais comme une idée déjà là, joyeuse et belle, soudainement vécue dans la joie et la beauté des choses incarnées pour toujours, parce qu’éprouvées une fois, ici, et maintenant, c’est ici et maintenant où les choses jamais accomplies se promettent pour l’an neuf : non pour le bilan prochain, mais pour le cœur qu’il me restera (cracher même rire) : oui, aligner les jamais comme des promesses : jamais rien d’autre désormais, que cette route prise pour être prise ; jamais d’autres étoiles ; jamais d’autres lignes, ni d’autres chances,


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