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Deleuze | l’autre manière de lire
mercredi 21 novembre 2007
Gilles Deleuze, ’Lettre à un critique sévère’, Pourparlers, p. 17-18
C’est qu’il y a deux manières de lire un livre : ou bien on le considère comme une boîte qui renvoie à un dedans, et alors on va chercher ses signifiés, et puis, si l’on est encore plus pervers ou corrompu, on part en quête du signifiant, et le livre suivant, on le traitera comme une boite contenue dans la précédente ou la contenant à son tour. Et l’on commentera, l’on interprétera, on demandera des explications, on écrira le livre du livre à l’infini.
Ou l’autre manière : on considère un livre comme une petite machine a-sinifiante ; le seul problème est : “est-ce que ça fonctionne, et comment ça fonctionne ?” Comment ça fonctionne pour vous ? Si ça ne fonctionne pas, si rien ne passe, prenez dont un autre livre.
Cette autre lecture, c’est une lecture en intensité : quelque chose passe ou ne passe pas. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. C’est du type branchement électrique. (…)
Cette autre manière de lire s’oppose à la précédente, parce qu’elle rapporte immédiatement un livre au Dehors. Un livre, c’est un petit rouage dans une machinerie beaucoup plus complexe, extérieure.
Écrire, c’est un flux parmi d’autres, et qui n’a aucun privilège par rapport aux autres et qui entre dans des rapports de courant, de contre courant, de remous avec d’autres flux, flux de merde, de sperme, de parole, d’action, d’érotisme, de monnaie, de politique, etc.
Comme Bloom, écrire sur le sable avec une main en se masturbant de l’autre – deux flux dans quel rapport ? (…)
Cette manière de lire en intensité, en rapport avec le dehors flux contre flux, machine avec machines, expérimentations, événements pour chacun qui n’ont rien à voir avec un livre, mis en lambeaux du livre, mise en fonctionnement avec d’autres choses, n’importe quoi… etc., c’est une manière amoureuse.