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La Mousson d’Été 2025 | Temporairement Contemporain [n°0]

Premier jour

jeudi 21 août 2025


Une semaine durant, à la Mousson d’été, pour la quatrième année, j’écris le journal du festival en compagnie cette année de Laëtitia Guichenu. Ici l’éditorial et le Temporairement Contemporain du jour.


Temporairement Contemporain n°0 • à télécharger

Et voici que la Mousson revient : voilà qu’elle remet en jeu sa nature et son rôle, et sa tâche et son désir, sa joie et sa ténacité. Recommencer le geste : ouvrir les portes, traverser la Moselle, poser la voix sur les dalles anciennes de l’Abbaye et s’y tenir, ensemble, pour comprendre ce qu’il en est de nous et porter l’écoute à ce que l’on fait de nous — ce que nous en ferons en retour. Se donner des forces et du courage, partager du temps, ses silences et ses joies, tenir par gros temps dans le souffle clair des moussons. Il faudrait prendre le temps de s’attarder sur ce que signifie, aujourd’hui, venir à Pont-à-Mousson entendre des écritures venues du monde entier à l’ombre d’une abbaye millénaire reconvertie en scène des paroles les plus présentes. Non pas simplement rassembler des auteur·rices et des textes, mais se demander comment faire entendre, dans ce monde saturé de bruits, tout ce qui cherche encore à se dire ? Ce qui fait la sécheresse de notre temps, ce n’est peut-être pas tant le vacarme des discours que l’épuisement des lieux d’écoute : là où la parole s’use en réactions, proclamations définitives, et petites phrases, le théâtre reste ce lieu obstiné où elle peut encore circuler — fragile et troublée, donnée, reçue et relancée. Dans les désastres de cet été, on pourrait céder à l’impuissance. Mais la Mousson revient comme on insiste. Cette année encore, des récits du présent. Des textes contre l’oubli et la confusion, contre l’abrutissement organisé. Des récits qui parlent à voix basse ou crient leur colère, savent que le rire est une arme. Qui racontent les corps usés, les familles effritées, les chambres d’enfants pleines de rage et de douceur. Des amours impossibles à dire et qui pourtant cherchent leurs mots, en trouvent d’autres, se réinventent. Des histoires où le monde recule ses bords : le ciel s’ouvre sur des trous noirs ou des horizons soudain élargis. Les appartements nous regardent avec hostilité ou réconfort ; dans les débris de souvenirs, des morceaux de mémoire résistent, se transmettent, se rejouent. C’est aussi de cela qu’il s’agit : de ce qui ne tient plus, et de ce à quoi l’on tient. La colère domine — le monde, son désastre, est plus qu’un horizon, un lieu commun dans lequel se débattre — mais elle est aussi un appui. Car ce qui suit importe : le trouble, l’inquiétude, l’élan, la surprise d’entendre une voix qui nous déplace. La fantaisie de se retrouver la nuit autour d’un cabaret ou d’une chanson, de rire malgré tout, d’improviser des alliances improbables. Oscillations qui font communauté : ni rassurée ni homogène, mais traversée de secousses, de colères et d’éclats de joie. Les textes de cette édition viennent dire le monde autant que le traverser, dans sa violence sourde, sa complexité muette, et son intimité déréglée. La Mousson 2025 sera parcourue de ces voix-là : voix d’Allemagne, des Pays-Bas, de Belgique, de Colombie, d’Italie, du Liban, d’Uruguay, d’Australie, du Québec, de Pologne, du Royaume-Uni, d’Espagne et de France. Voix traduites dans toutes les langues intérieures, voix de poètes, de danseurs, de musiciens, de funambules. Ce qu’on entend ici n’est pas seulement ce qui est dit, mais ce qui se cherche, se perd, échappe. N’est-ce pas cela qu’on nomme théâtre, le lieu et l’écoute, la tâche et le désir de dire et d’entendre ? Voici que se dessine une cartographie de nos secousses affectives et politiques : textes qui pensent contre eux-mêmes, avancent à découvert, inventent des formes où tenir quand tout vacille. Il y aura donc des lectures, des créations, des cabarets et tout ce qui, entre tout cela, noue les expériences et les relancent : l’obstination de croire que la parole peut circuler encore, être reçue et nous atteindre. La Mousson est cette invention des formes d’écoute, dans l’adresse fragile d’un·e auteur·rice à une salle, dans la tension entre ce que les mots disent et ce qui résiste à être dit. L’urgence est là : faire tenir ensemble nos doutes, désirs, silences, colères, fantaisies, et la joie d’appartenir à ce temps, ces jours et ces nuits rassemblés. Des voix portées ici, parce que c’est ici, à la lisière des choses, de la Moselle et de l’écoute, que cela pourrait avoir lieu. Faire advenir du présent. Et dans ce geste nu, joyeusement nu, recommencer une histoire.