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Pecha Kucha | Saint-Just, Vingt fois la terreur
mercredi 20 mars 2013
note du 21 mars.
Les vidéos des journées sur les métamorphoses du livre à l’heure du numérique, qui ont eu lieu à la BNF à l’automne, sont en ligne, et notamment celles de l’après-midi du 20 novembre : c’est ici.
Ci-dessous, l’extrait de ma lecture, avec images au fond, et la voix, devant.
20 novembre 2012
ce vingt novembre, dans le cadre des journées consacrées à la BNF aux métamorphoses de l’oeuvre et de l’écriture à l’heure du numérique (vers un renouveau des humanités ?), une série de lecture est organisée — un pecha kucha : "le bruit de la conversation", en japonais. C’est surtout le format d’une intensité folle, et d’une profonde incitation : vingt images, vingt secondes par image, et la voix devant. Dérives à partir d’un projet (toujours en cours) sur la Terreur : figure de Saint-Just, présence de la Commune, images de ces jours, bouleversements intérieurs, et communs élans.
image ci-dessus françois bon
(les autres images ci-dessous miennes, prises entre juin et novembre 2012)
et grand (grand) merci à cécile portier…
De communs élans
Que la terreur est partout,
Et qu’elle est son remède
Qu’à l’image
Savoir si le jour
Se lève
Ou s’effondre,
Le lire dans le sang
Que la terreur est dans le sang
Coulé
Du soleil jusqu’à nous et les journaux
Tombés
Et qu’on les ramasserait
Comme des larmes
Et qu’on dirait : la terreur est partout
Et son remède
On dit qu’il avait vingt-et-deux ans,
Que le soleil était le même sur lui
Qu’aujourd’hui
On dit : Qu’il avait cette beauté d’ange que l’on prête malgré soi
Qu’il s’appelait Louis-Antoine Léon
Qu’il avait écrit des poèmes érotiques
Sur les murs des prisons
Et qu’on se souviendrait de son nom
Parce qu’il était le nôtre
On dit cela et on ne sait rien
On se souvient
Qu’il avait vingt-six ans
Quand sa tête tomba à nos pieds
Et les murs illisibles de la terreur
Dans nos corps
Qui frappait
Et comme je me souviens de lui
Et comme le peuple manque
Au plus fort des combats
Oh comme les combats manquent
Et jamais les défaites
Non jamais
C’est sur chacun de nos murs
Tu peux les voir
Tu peux les toucher
C’est sur les murs son nom et le tien liés
Tu peux les caresser pour jouir
Tu n’auras pas son corps
Tu peux en te penchant y croire
Tu peux croire que c’est ton corps
Et tu peux t’y livrer
Tu peux de tous tes ongles
Caresser l’espace d’un instant
Le mot qui dira
Je suis ici l’endroit qui me fait naître
Je suis d’ici
Trente-six place de la Nation
C’est plein de poussière
Ce siècle
C’est plein de cheveux tombés
C’est plein d’ongles et d’os
C’est plein de ces cadavres en soi
Déjà mille fois morts
C’est dieu mort et son corps chaud
Et les pleureuses
C’est la langue morte
Mais
C’est un doigt, léché,
Qui vient dessiner sur la poussière
Mon ombre encore en vie et je la vois
Que derrière les lignes
Il y a des pays
De l’autre côté des mers
Des montagnes comme pour dire
Je suis de l’autre côté
Et des lacs, des cristaux de sels qui dévorent
Et des forêts dont le cœur bat sous les arbres
(Je suis de l’autre côté)
Des fleuves larges comme des villes
Qu’il suffirait de l’imaginer
Que les images sont insuffisantes
Pour la vie qui l’emporte
(je suis de l’autre côté)
Du côté de ceux qui savent qu’il n’y a pas de côté
Seulement comme sous les fenêtres
Habiter la lumière qui ne vient pas
Seulement comme sous les révolutions
La chute de l’histoire en armes
Ce qui ne tombe ne sera jamais que
Des tours
Ou des statues de rois
Ou des corps au champ d’honneur
Ces chutes de l’histoires dont il ne reste
Que des chutes
Et quelques mots barrés
En guise de mémoire
« Elle est retrouvée !
Quoi ? l’éternité.
C’est la mer mêlée
Au soleil. »
Oh, regard de ta démesure.
Puis :
« Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon. »
Des communs élans
Oh ville
Commune
L’adresse est partout
Et toi, qu’as-tu fait de la Commune ?
C’est une vieille histoire
Qu’as tu fait de la Terreur
C’est un mot qu’on lance comme
Des grenades
Mais c’est un fruit, on le dit dans le Cantique, que la grenade est un fruit
Et vous, qu’avez vous fait
Dites
Du Cantique
Et de l’Arbre commun ?
C’est un ordre
Dans la bataille, l’ordre appelle
La désobéissance
« Le bonheur est une idée
Neuve
En Europe »
Plus tard, ce sera un spectre qui hante
Comme le père d’Hamlet
Les consciences déchirées
Des peuples vaincus
Soyez heureux
Le mot
S’efface
Depuis
Mille ans
Et demeure
Il n’y en a pas
Il n’y a rien d’autre que toi
Tes mains griffées sur les murs
Griffés
Il n’y a pas de refuge
Il y a des villes
Il y a des continents cachés sous les villes
Et il y a deux corps qui viennent l’un vers l’autre
Recommencer l’histoire (repeupler l’histoire)
Il y a la peur aussi
Il y a la peur qui dit
N’aie pas peur
Tout va bien
Tout va bien
L’histoire est une mauvaise passe
Que la crise soit l’état normal du monde
On l’accepte
Que la crise soit l’ordre moral des choses
On l’accepte
Que le monde ne fonctionne pas
On l’accepte
Mais
Il y a certains passages
On n’aurait qu’à passer nos corps
C’est là
On n’aurait qu’à dire
Suis moi, je passe d’abord
Eurydice aussi
Narcisse aussi
Disaient, non, toi, toi
D’abord
C’était pour expier les crimes de
La Commune
Les types avaient dit
On construira ça pour se faire
Pardonner
Les types ont construit ça
Quand je monte là-haut
Pas un regard, je me retourne vers la ville
Il y a tout le ciel qui ressemble à celui
De Jules Vallès : « une grande blouse
Inondée de sang »
À la folie du jour
C’est bientôt fini
On rentre, tous ensemble
Dans les souterrains creusés pour cela,
Pour nous
Qu’on se tienne chaud
Car si le peuple manque
Son corps, on le touche aux heures de pointe le soir
Quand l’histoire du jour est fini
Lumières artificielles
Corps inondés de fatigue
La terreur est son remède
Mais, aux moments de grands hasards
De féroces nécessités
On bascule
On se penche dans le noir
On trouve un corps qui est semblable
Au nôtre
La vie s’écoule lentement le long
De nous
Les Pyramides sont aveugles
Du haut de leurs siècles
Nous échangeons les serments
Aux reflets de nos ombres
L’histoire n’est plus ce que l’on croit
Les années comptées depuis la naissance
D’un parmi nous de moins mort que nous
Non
C’est un décompte
C’est commencé
Et cela n’aura pas de fin
Que nous
La terreur, c’était ce chiffre
Et ce chiffre,
C’était chacun de nos visages
C’était
Dans le noir
Ce qui perçait
« Aucun des sophismes de la folie, — la folie qu’on enferme, — n’a été oublié par moi : je pourrais les redire tous, je tiens le système. Ma santé fut menacée. La terreur venait. »
Ces pages arrachées
Sur lesquels j’écris
Ces images qui diraient
L’écran est une page arrachée à l’écran
Et la page, un écran à traverser
La nuit
Ô revers du jour
S’agit de claquer les portes
De faire entrer le vent
S’agit de dire : la nuit est un moment
Du jour
Et l’histoire atroce
Ô doucement conquise
Et sous les draps rouges défaits
Secoués de ses spasmes
De plaisir
Et de joie interminée
La nôtre enfin, la nôtre de nouveau
Il avait vingt-six ans
Quand sa tête roula
Il fut silencieux tout le jour de
Thermidor
Il aurait pu dire : pas moi ; mais non
La veille son discours commençait ainsi :
« Quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur »
Ô Saint-Just, mortel de vingt-six ans
Pour toujours
Au nom de quelle terreur
Ta jeunesse emportée
Est la nôtre
Que la terreur est partout
Et quelle est son remède
« Âme sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu. »
Si l’histoire est passée
Elle n’était pas un rêve
L’arbre dans la ville
Cherche le ciel
Et nous, qui disons la vie possible
Et l’amour et la beauté
Nous disons : la terreur est notre enfant
Inconsolable, et en nous
Vivant d’espérance commune.