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Rimbaud | Corps noir

dimanche 25 août 2013

D’une photographie de Rimbaud : "Environs d’Aden. Avant le déjeuner à Sheick Otman". Ce cliché a probablement été pris par Georges Revoil, pour garder le souvenir d’une partie de chasse. La date exacte n’en est pas connue : vers 1880, conjecture J.-J. Lefrère.


Visage noir de Rimbaud
(l’homme debout, l’arme en pied tenue par la main droite, qui jadis écrivait.)

Regard noir de Rimbaud
(l’homme debout, habit blanc colonial, la main gauche relevée étrangement, geste insensé : élégance gauche, raffinement de sauvage.)

Corps noir de Rimbaud
(j’aurai de l’or, disait-il, il n’aura eu qu’un fusil, et le cheveu court, et les rêves ?)

Fusil noir de Rimbaud
(mince comme un bras, une jambe sur laquelle s’appuyer quand elle ferait défaut.)

Sang noir de Rimbaud
(c’est avant (ou après ?) une partie de chasse, on ne sait pas quelle bête il a manquée ce jour-là.)

Voix noire de Rimbaud
(l’accent des Ardennes en Aden, l’avait-il encore, et ses insultes ?)

Tendresse noire de Rimbaud
(fusil tenu pour ne pas s’en servir :

Du Harar, le 25 février 1890 :

« […] en effet on massacre et on pille pas mal dans ces parages-ci : heureusement que je ne me suis pas encore trouvé à ces moments-là, et je compte ne pas laisser ma peau par ici, – ce serait bête. – Je jouis d’ailleurs, dans le pays et sur la route, d’une certaine considération due à mes procédés humains, je n’ai jamais fait de mal à personne, au contraire, je fais un peu de bien quand j’en trouve l’occasion et c’est mon seul plaisir. […] »

– ô Charité de Rimbaud.)

Yeux noirs de Rimbaud
(ils regardent quelque chose derrière nous, mais quoi ?)

Mots nègres de Rimbaud

« Oui, j’ai les yeux fermés à votre lumière. Je suis une bête, un nègre. Mais je puis être sauvé. Vous êtes de faux nègres, vous maniaques, féroces, avares. Marchand, tu es nègre ; magistrat, tu es nègre ; général, tu es nègre ; empereur, vieille démangeaison, tu es nègre : tu as bu d’une liqueur non taxée, de la fabrique de Satan. — Ce peuple est inspiré par la fièvre et le cancer. Infirmes et vieillards sont tellement respectables qu’ils demandent à être bouillis. — Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d’otages ces misérables. J’entre au vrai royaume des enfants de Cham.
   Connais-je encore la nature ? me connais-je ? — Plus de mots. J’ensevelis les morts dans mon ventre. Cris, tambour, danse, danse, danse, danse ! Je ne vois même pas l’heure où, les blancs débarquant, je tomberai au néant.

   Faim, soif, cris, danse, danse, danse, danse !

Maison noire de Rimbaud
(détruite aujourd’hui, on a reconstruit un hôtel au même endroit, qu’on a cru bon d’appeler le Rambow – grotesque et dérisoire dévoterie de marchands pour un marchand qui haïssait les dévots : mais il faut bien donner le change aux outre-tombes.)

Sourire noir de Rimbaud
(on ne le voit pas.)

Compagnons noirs de Rimbaud
(ils sont blancs, le visage blanc et le regard blanc, une fierté blanche jusqu’à la bouffissure des conquérants dans le port de tête, pensées noires de Rimbaud sur la blancheur terrifiante de bêtise des blancs quand ils sont en terres de poussière.)

Fatigue noire de Rimbaud
(« La marche, le fardeau, le désert, l’ennui et la colère. » jusqu’en ce trou du monde.)

Silence noir de Rimbaud

Du Harar, le 25 février 1890 :

« Chère mère et sœur, […] Ne vous étonnez pas que je n’écrive guère : le principal motif serait que je ne trouve jamais rien d’intéressant à dire, car dans des pays comme ceux-ci, on a plus à demander qu’à dire ! Des déserts peuplés de nègres stupides, sans routes, sans courriers, sans voyageurs : que voulez-vous qu’on vous écrive de là ? Qu’on s’ennuie, qu’on s’embête, qu’on s’abrutit ; qu’on en a assez mais qu’on ne peut pas en finir, etc., etc., voilà tout ce qu’on a en tête et tout ce qu’on peut dire. Comme ça n’amuse pas non plus les autres, il faut se taire. […] »