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Contre-jour aux calvaires
lundi 15 août 2011
Au lieu des calvaires – « Calvaria, ainsi dit parce que, les condamnés y étant exécutés et leurs corps y restant, il était garni de crânes, en latin calvaria, lequel vient de calvus, "chauve", à cause de la dénudation de la boîte osseuse. » Le terrain est toujours nu pourtant à cet endroit, et par endroits, l’herbe, doucement, pousse.
Figures de conjuration – pour briser l’adoration : se tenir dos aux pierres, et lever les yeux. Mais c’est le soleil qui brûle l’œil. Les calvaires l’interceptent un peu : c’est un usage possible.
Se découpent alors dans le ciel ces prières adressées en signe de richesse (ici, les villages sont pauvres, mais si riches alors, et rivalisaient en calvaires : c’était le village qui aurait édifié la mort la plus glorieuse) : l’orgueil des pierres noires résistent.
Il n’y a pas que cela : il y a la trace de la main du sculpteur à tel endroit, le souffle sur la poussière pour qu’elle prenne cette place dans l’ordre des choses dressées : il y a aussi, je ne vois que cela, la vanité qui consiste à élever cette poussière à l’éternité.
Non pas l’éternité : c’est du présent que je parle. Mais si cela demeure, ici, c’est une forme d’éternité acquise, non ? – Une éternité provisoire : qu’un coup de vent balaie tout cela ; cela arrivera : c’est cette éternité là qu’on regarde en levant les yeux sur ces corps figés.
Corps décharné, de pierres mangées : et dans la fragilité extrême du Calvaire, penser : ces cadavres sont deux fois morts : morts d’avoir été conçus, morts d’être regardés encore.
Ce que j’intercepte, de derrière, ce n’est pas seulement les contours, ou la lumière : mais toute cette geste morte devant laquelle on vient mourir, transformée en endroit à voir, comme de vulgaires pierres. De derrière, je recompose mentalement toute une gloire morte.
Un théâtre : habits du XVe pour figurer la scène antique ; peut-être que le sculpteur a prêté aux silhouettes les visages de ses contemporains ? On ne les reconnaît pas. Mais les larrons, les prêtres accusateurs, la foule, le gouverneur, la mère, les larmes : cela on le voit encore. Les visages ont disparu.
J’imagine la scène : le prêtre en bas raconte l’histoire, il lève le doigt sur le Calvaire, suit le drame raconté par les statues en faisant le tour. Les fidèles, le nez levé, la tête baissé, les mains jointes, croisées : contradictions des gestes qui fondent le prêche (j’ajoute : sur une telle scène, il pleut forcément.)
Et le vent souffle. Le récit se suit de gauche à droite, comme un grand livre de pierre, et circulaire. Au centre, la croix haute. On la voit à chaque épisode : elle commence et achève tout. De quelque début qu’on prenne l’histoire, elle fait ombre sur tout.
Aujourd’hui, il fait bien trop de ciel et de lumière pour qu’on comprenne quoi que ce soit à ce récit : le soleil étend de larges ombres sur le sol, que je piétine.
L’herbe continuera de pousser ; la pierre de se creuser : la maladie a trop gagné sur les peaux grises.
Le soleil a fini d’éteindre les pierres ; je me suis un peu brûlé à prendre ces images. Pourtant, je ne sais pas à qui je les ai prises, ni à quoi je me suis brûlé.