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Où l’on enterre les morts | vues d’Auxerre
Le souvenir des villes est parfois attaché à ces lieux
jeudi 19 août 2021
Le souvenir des villes est parfois attaché à ces lieux de silence étouffé, plus lent, plus interminable et ample – est-ce à cause de ces perspectives fuyantes, de ces lignes qui s’échappent, de ces murs ? –, par exemple Auxerre.
L’un des plus vieux cimetière du pays, c’est écrit à l’entrée : il date de 1793. L’un des derniers construit au cœur d’une telle ville. Tout autour, les boulevards le contourne. Les cyprès sont hauts, la pierre grise, souvent noire. Il n’y a personne.
Le mot cimetière est un des rares qui n’a pas besoin de définition. Il faut pourtant la lire pour saisir ce qui échappe, dans la folie d’un tel lieu.
2. Le lieu où la mort frappe et sévit. La ville était devenue un vaste cimetière.(si-me-tiê-r’)
1. Le lieu où l’on enterre les morts. Les cimetières ne sont plus permis dans le sein des villes.
Fig. Du corps de ce mutin gisant sur la poussière Le ventre des corbeaux sera le cimetière. [Rotrou, Antigone]
Désir de cartographier le monde par ses sépultures. On possède chacun dans sa mémoire, et son appareil photo, de telles images de pierres alignées, dévorées par la pluie, ou si neuves qu’on la dirait dresser d’hier. Ces phrases posées sur elles, dont la banalité est d’autant plus terrifiante qu’elle signe pourtant la douleur qu’on aurait voulu la plus singulière, la moins dicible. Et le folklore des angelots, comme un autre sacrilège à la dignité. On passe, comme devant les tombes, en lisant les dates, qui ne disent rien d’une vie, et la nomment toute.
Oui, ce désir résiste. Souvenir du cimetière de Bordeaux, de Montmartre, de Münich où je m’étais perdu, du cimetière juif de Venise où se poursuivent encore les ombres de Musset et de Sand, l’un, le cri défiguré par la fièvre, cherchant à frapper l’autre avec une canne brisée, sous la pluie. Souvenir du cimetière Saint-Pierre de Marseille, pour une seule tombe et la pierre sur elle. Souvenir de tant d’autres.
Les déposer aussi. Comme repose le passé quand il n’est plus rien ; comme de la terre lourde sur ce qui s’efface. Les déposer ici, de temps en temps, pour fabriquer cet oubli auquel on est voué.