Où l’on enterre les morts | Vues du Père Lachaise

Seulement en coup de vent, un passage pour honorer la dette, celle qu’on ne paiera jamais à l’égard des morts, les nôtres — j’étais tout près. D’ici, le mur des Fédérés, invisible depuis la ville et pour cause, appelait : je l’ai rejoint. En chemin, dans les allées désertes, le texte immense s’écrit seul, on lit en soi intérieurement (comment faire autrement ?) les noms et les dates, et un nom après l’autre raconte ce qui se passe de mots, de dates en dates, la douleur et l’indifférence, l’oubli, l’effacement qui résiste. Il avait plu. Les feuilles jonchaient le sol mal pavé. Le soir tombait d’une lenteur terrible. Il faisait doux. Je ne faisais que passer et au passage, je prenais tout, la lumière et les bruits, le silence entre le ciel et la terre, les arbres nus qui tâchaient de s’élancer et les horizons découpées dans la pierre, tout. Parfois, des noms résonnaient en moi — je rendais mon hommage à Blanqui avant de rejoindre le Mur. Au retour, je ferai ce long détour pour garder le silence devant Vallès. Et il fallait rentrer : les gardes sifflaient. Le soir était tout entier là, bientôt la pluie, et après la pluie, la nuit, le ciel et toute cette ville adossée à la terre morte : et après, rien.