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Parking | images sous la ville de ce monde

samedi 17 juin 2017


— LA MÈRE : Parler convient mal à ceux qui trop supportent,
Dans ton parking cela résonne, étages noirs de ciment sous la ville orgueilleuse.
Mais enfin me voilà devant toi, il faut bien qu’enfin tu mesures le compte, la nuit qui nous entoure, dans l’odeur des pneus et l’échappement des moteurs, sans rien dire de ce fond d’urine et de cet air malsain qui remonte de plus profond encore, tout est propice.
— LE GARDIEN : Garder dessous la ville, devant des barrières, les boîtes à sous d’un péage, répondre à ceux qui perdent leur ticket ou s’égarent. Beau destin pour un homme, et ce que tu prétendais de toi. »

François Bon, Parking (Minuit, 1996, puis Tiers-Livre éditeur)


D’abord un regret : n’avoir pas pris plus de temps et d’images dans ce parking souterrain d’Aix-en-Provence, ce soir-là. Mais la fatigue après le théâtre et la route à faire (les travaux qui obligent ce long détour), le désir de rentrer et peut-être aussi – pourquoi le cacher – la légère peur de rester un peu de temps ici à prendre des images dans un tel lieu vide qui vous rend immédiatement suspect ou proie facile.

Et pourtant, des images, il y en avait tant à prendre : suffisait de tendre les mains ; le cadre est déjà là, partout cette géométrie impeccable du même, bifurcations qui dynamisent le paysage, la répétition du monde dans sa logique d’usage, impeccable – et cette laideur fascinante s’agissant de tout ce qui fabrique ce monde pour le rendre plus pratique. La preuve : j’avais noté sur le téléphone mon numéro pour me garer et je me laisse guider par les chiffres.

Sauf que ce soir la voiture est seule sur toute l’immensité du parking souterrain. Pas besoin de la chercher. Tout à l’heure, il fallait ruser pour trouver une place. Là, c’est une image de la désolation, ou de l’abandon ?

D’où vient la fascination pour ce lieu ? Parce qu’il ressemble à une sorte de théâtre, celui des rencontres, des dangers, de ce lieu qu’occuperaient les corps quand le monde en a fini avec lui, et avec eux : de ce lieu tant déterminé qu’il peut prendre un autre usage quand sa fonction est morte, le soir par exemple.

D’où vient la terreur aussi, et la menace ? La géométrie simple, l’absolue absence de souci d’enjoliver l’espace, les grandes flèches sur le sol qui conduisent, forcément, à un piège ?

Évidemment, souvenir de Parking, la pièce de François Bon : me semble que c’est à Berlin qu’est né ce texte, mais tous les parkings de toutes nos villes sont les mêmes, et c’est à cela qu’on reconnait un parking : au fait qu’il ne possède rien de singulier (y -a-t-il quelque chose dans notre monde qui ne possède rien de singulier ?). Je relirai Parking ce soir, pour reconnaître les images, parce que c’est peut-être la dernière tâche des écritures : faire surgir de ce monde-là des fables qui pourraient à la fois les nommer et les redonner à voir. Sur Tiers-Livre, il écrit, à propos de l’écriture de Parking :

Il ne s’agit pas de se faire témoin ou porte-parole, mais travailler sur l’étroite parcelle où on a été mis, et chercher les images telles qu’elles s’y sont déposées. Travailler sur soi-même en tant que constitué par ce monde, on porte chacun assez de honte (cette phrase d’Ernst Bloch est une indication presque archéologique : « Sur les méfaits intimes l’herbe ne repousse pas »).

C’est évidemment sans promesse. On aura tenté, de nos villes, quitte à ces rues vides, de tirer une image.

J’aurai voulu tirer davantage d’images : mais on ne renonce pas.


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