VIDÉO | Alors je regarde

journal / vidéo : samedi vingt-huit octobre deux mille vingt trois

Je sais bien qu’il me faudrait faire quelque chose de cela comme de tout, faire quelque chose de ma situation, qu’étant dans l’impossibilité d’écrire avec ce seul bras accroché à moi, quasi mort, ou plutôt, sans bras, puisque le seul qui me reste ne me sert qu’à peine à ouvrir une porte et pas du tout à taper à la machine, oui, avec cette seule main gauche, rien ne passe de la pensée à l’écran, écrire m’est impossible sans le geste : contraint de dicter le moindre des messages et le faisant donc le moins possible, je me trouve aussi dans l’incapacité de répondre au monde comme d’en répondre, alors je regarde : non, décidément, je ne fais rien de ma condition empêchée, je n’en tirerai rien, ni bénéfices, ni plus-value, je regarde, et cette situation redouble celle qui ma laisse sur les rivages de ces jours, désarmé et impuissant devant les massacres ; chaque feuille qui vibre est un évènement et il fait honte aux autres, ceux qui explosent sous chaque bombe ou dans chaque parole tenue au nom du peuple français comme une insulte, comme si, réduit à l’état de regard (je ne dis pas de spectateur), je m’étais tout entier aboli dans cette fonction devenue un organe, et je regarde sombrer la réalité sous le ciel orange et bleu qui vibre cette nuit par-dessus la Palestine agonisante, tout ce qui meurt et ne se lèvera plus : oui, regarder de toutes mes forces les images, les paroles, pour en arracher des forces malgré tout pour plus tard, comme si dans les images et les mots se trouvait non pas tant l’antidote que cette énergie du désespoir qui saura un jour ou l’autre renverser le jour en l’autre, alors je ne cesse pas de regarder et de tenir silence comme on tient parole.