VIDÉO | Dans ses doutes des raisons de croire

« Jusques à quand, madame, attendrez-vous mon père ? / Des témoins de sa mort viennent à tous moments / Condamner votre doute et vos retardements./ Venez ; fuyez l’aspect de ce climat sauvage / Qui ne parle à vos yeux que d’un triste esclavage : / Un peuple obéissant vous attend à genoux, / Sous un ciel plus heureux et plus digne de vous. »

Les vers d’autrefois, vénérables et illisibles, ont pour eux le rythme serti dans la phrase impeccable et la musique terrible du martèlement fatal qui ôte tout d’un doute et d’abord la réalité ainsi mise à nu avant d’être égorgée par le sens.

Je pense à ces vers, et je pense à cette phrase que m’avais dit autrefois aussi, le regard perdu, ce prêtre : « trouver dans ses doutes des raisons de croire », et, dans sa voix, presque brisée, pensive, tout l’effondrement, métaphysique d’une foi que je savais ébranlée. Je garderai cette phrase des années en comme un talisman, la clé du parjure.

Et quand je me trouve tout à l’heure devant la mer déchaînée par le vent, je pense aux anciens vers, je pense au regard du prêtre, à ma foi égarée, à tout cela ensemble, comme si les souvenirs dialoguaient furieusement à travers moi, et qu’ils prenaient formes du vent et des vagues, de la furie.

Et ce mot de doute déposé ici sonnait comme un ordre, une injonction morale : doute, je t’en supplie ; doute, je t’en conjure ; doute comme dans les cours d’assises on nous invite à juger sans aller au-delà du doute raisonnable : le monde bénéficierait-il du bénéfice du doute ? J’ai regardé ce mot, cette invitation à douter terriblement, non pas seulement de la réalité, mais du doute tenu à l’égard de cette réalité. Je sais bien où mène ses pensées : qu’à fonder dans le doute sa manière de vivre, on en vient à remettre en cause toute parole, et la rondeur de la terre, l’existence des maladies ou de la fin du monde, celle des autres, de soi : le doute hyperbolique aboli le doute et avec lui celui qui doute et il ne reste rien que du vent. Je ne douterais jamais du vent, la forme que fait la mer en moi, ni de la brutalité du réel, des horizons à venir.

La mer semblait indifférente à ces pensées qui venaient seules entre les vers anciens et le regard du prêtre, le son de sa voix, et l’impératif posé implacablement face à la vie pour qu’elle ait lieu.