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"Seul comme on ne peut pas le dire", Koltès | publie.net

mercredi 2 avril 2014


Note du 2 avril 2014 : mise à jour du fichier numérique et nouvelle couverture par Roxane Lecomte, à partir d’une photographie prise au moment de la rédaction du texte, l’été 2006, quartier du Sentier.

Le livre est présenté sur la page du nouveau blog des éditions numériques publie.net

Il est disponible en papier et en numérique — on peut se le procurer sur le site de la librairie en ligne


Note initiale du 20 janvier 2009

En janvier 2008, lors du lancement de la coopérative d’auteurs pour le texte contemporain publie.net, son fondateur, François Bon, me demande l’essai que je lui avais fait lire l’été précédent — réécriture de mon mémoire de maîtrise sur le monologue de Bernard-Marie Koltès, La Nuit juste avant les forêts

Ce texte, qui a subi depuis plusieurs mises en page (remerciement à Sarah Cillaire), a été revu en novembre 2009 (avec une couverture de l’ami Jérémy Liron) : ce premier essai, c’est d’abord celui sur la langue d’un auteur qui incite en retour à l’écriture. C’est un essai sur sa propre langue aussi : et l’été suivant la soutenance, deux mois à l’écrire, cette lecture, dans l’élément même de ce geste : "tu tournais le coin de la rue lorsque je t’ai vu...".

Ensuite, le travail pouvait commencer, et il continue aujourd’hui, à partir de là.

Vous trouverez la présentation du texte sur le site publie.net.
Et pour se le procurer, merci de passer ici.


Présentation, par François Bon

Koltès est mort en avril 1989. Vingt ans plus tard, le bousculement qu’il inaugure agit non seulement sur l’univers du théâtre, mais l’ensemble du territoire romanesque.

Bousculement de la représentation, bousculement de contenus et de formes : toute une pièce dans un échange de regards, et la haute phrase des villes confiée à la nuit et à ceux qui la hantent.

Et le travail d’Arnaud Maisetti, entre fiction et théorie, entre livre et web, croise intimement cette recherche d’une prose lyrique, en prise avec la ville et sa nuit, hantée des voix qui en marquent la quête. Son site ArnaudMaisetti.net témoigne de ces pans différents de recherche, et comment ils se complètent.
« Seul comme on ne peut pas le dire » est la première monographie exclusivement consacrée à l’oeuvre de naissance de Bernard-Marie Koltès, le célèbre soliloque La Nuit juste avant les forêts. Ce livre en présente les différentes strates et composantes du bref mais fulgurant texte de Koltès. Il le resitue dans sa genèse, dans ses enjeux de théâtre, en examine l’architecture et le fonctionnement narratif (dernier chapitre sur la notion de fugue...).

Et, surtout, Arnaud Maïsetti resitue Koltès dans son champ de tension théorique, et on verra passer les ombres de Derrida et Blanchot, on examinera de très près le lien avec L’expérience intérieure de Bataille. Alors, au rebours presque de Koltès, les habitués de l’oeuvre pourront en faire comme une archéologie théorique, partir à la découverte de ces fissures actives ou sismiques de prose qui ont permis la naissance d’une oeuvre aussi atypique, aussi nécessaire.


Avant-Propos

De La Nuit juste avant les forêts, il faudrait parler comme d’une pièce creusée dans une langue que n’épuiserait jamais rien, au cœur d’une durée affranchie de son terme, don d’une présence enfin, qu’aucun espace ne saurait circonscrire – hors le corps même, le corps proféré d’un théâtre faisant violence à l’acte de lecture. Ainsi, davantage que de lecture – c’est avant tout d’écoute, d’apprentissage patient d’une parole et d’un geste, et surtout de reconnaissance dont il est question ici.

Prendre le risque de cette parole, c’est déjà, face à elle, écrire son expérience. Doubler l’expérience par celle de son écriture. C’est éviter la facilité de traduire – pour prendre le risque des territoires à investir de nouveau, mais de l’autre côté de la langue, de son envers. C’est en quelque sorte, ici, donner une chance à ce risque.

S’il s’agit d’aborder La Nuit juste avant les forêts seulement, c’est qu’il apparaît bien vite qu’existe une dramaturgie par pièce dans l’œuvre de Bernard-Marie Koltès. En prenant le parti de la profondeur contre la transversalité, de l’absolu contre le latéral, et de la langue contre le motif, une telle lecture prend surtout le parti de l’écriture contre tout ce qui pourrait y faire obstacle : contre l’idée englobante des œuvres surtout, qui les annule sous l’alibi de l’œuvre achevée, c’est-à-dire finalement morte. Le projet était d’entrer en profondeur aux endroits les plus mouvants de la langue, pénétrer dans l’acte même d’écriture et de profération, y déceler ses enjeux sur le monde. Pour une telle entrée en matière, le choix de La Nuit juste avant les forêts, ce monologue long d’une seule phrase, écrite pour Yves Ferry, et jouée par lui à Avignon en 1977 avec une mise en scène de Koltès, s’impose de lui-même.

D’une part parce qu’elle est sans doute la pièce la plus jouée – la plus lue aussi : « une pièce d’acteur », disait Koltès, jouée par ceux qui la font de l’intérieur, et à ce titre, une pièce fondamentale pour comprendre ce que l’écriture contemporaine doit à Koltès, ce que nous devons à Koltès du déplacement des forces qu’organisa de manière décisive son théâtre.

D’autre part, parce que cette pièce est dans l’esprit de son auteur la première pour laquelle il se mettait à écrire, véritablement. Même s’il ne s’agit pas strictement de la première qu’il ait écrite – en attestent les publications aujourd’hui à intervalles réguliers de nombreuses « pièces de jeunesse » – assurément celle-ci, selon ses propres mots, fut la première pour laquelle il lui apparut, violemment et définitivement, qu’il s’agissait d’écriture, de confrontation à la fois au monde et à la langue, dans le même geste adressé sur scène.

Écrire sur La Nuit juste avant les forêts, c’était donc une manière d’aborder pour la première fois une pièce de Koltès dans sa singularité, dans son unicité – en même temps qu’aborder avec Koltès ce geste augural qu’a figuré pour lui l’écriture de ce texte. Ecrire sur cette pièce, c’était finalement entrer dans cette solitude essentielle, acte de présence, puissance de reconnaissance – solitude en partage adressée, inaccessible, intraduisible ; c’est entendre de l’intérieur celui qui se penche, nous attrape le poignet à l’angle d’une rue et dans la nuit ouverte en deux, secrètement, force la langue à parler enfin, à fondre le possible dans l’impossible, dévoiler ce qui restait irrévélé dans le silence – « seul, comme on ne peut pas le dire ».