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Scanreigh & Dupuy | Tondi
mercredi 21 avril 2010
Cinquième texte dans la collection Arts et Portfolio de Publienet que je coordonne avec Jérémy Liron : à voir sur le site de Publie.net - pour s’abonner ou pour vous procurer l’ouvrage (numérique). Merci de nous soutenir…
Tondi, .
PDF, 28 pages.
ISBN 978-2-8145-0317-5.
Les 11 premières pages à feuilleter librement ci-dessus.
Téléchargement texte intégral 5,50 euros.
On se demande d’où vient le tondo. On en a peu en tête : la vierge à la chaise de Raphaël avec ses manières, un triple autoportrait de Johannes Gumpp, un Michel-Ange. On pense aux oculus perçant aux rotondes un morceau de ciel infini et à ces décors peints imitant ces mêmes percées dans des raccourcis audacieux. La chambre des époux de Mantegna, à Mantoue. On pense à ces miroirs flamands courbant le monde dans leurs reflets. Et incidemment au visage de méduse dans le poli du bouclier de Persée.
Sans doute les tondi de Scanreigh conservent-t-ils ces échos multiples puisés dans cette histoire subjective dont les peintres accompagnent leurs audaces. Autant qu’ils évoquent plus prosaïquement quelque chose d’un siphon ou de ces plaques ou coupelles dans lesquelles frayent les bactéries à l’aplomb des lentilles du chercheur.
Quand Armand Dupuy évoque à propos de la peinture de Scanreigh un « dos », « fatras sans nom, boule marécageuse, falaise ou bête féroce », on est tenté de bricoler pour soi une image de méduse, une face qui grouille prise dans la confusion du reflet courbe d’un bouclier à l’image du monde qu’il clos sur lui-même : Une image pétrifiante, aveuglante, excédant les mots que l’on voudrait tendre pour s’en saisir.
Si sur les cartes anciennes, la représentation du monde prend la forme circulaire d’un tondo, c’est peut-être parce que tel était le point de vue évident de la totalité : le réel dans sa nudité offerte, coupe latérale d’une terre exposée dans un déroulé circulaire ; aujourd’hui, ce que nous propose le globe vise moins une objectivité qu’une suppression du point de vue...
Et quand on retrouve le geste du tondo, qu’est ce qui décape tant le regard ? Qu’est ce qui change dans l’appréhension qu’on a de cette forme, et du monde en regard ?
Dans le tondo, on embrasse immédiatement le point de vue d’une verticalité supérieure, englobante ; perspective en surplomb qui ne peut être que celle d’une transcendance irradiante. Malgré moi, cela m’évoque les vers de Manset, pour Bashung : « À voir le monde de si haut / Comme un damier, comme un légo / Comme un imputrescible légo / Comme un insecte mais sur le dos ».
Cette vision retournée, ce dos exposé et mouvant, surpris presque dans ses déplacements, c’est précisément celle de ces tondi — mais le coup de force de Scanreigh résiderait précisément dans cette volonté de neutraliser l’objectivité : en contournant la figuration totalisante, on assiste à une sorte d’immanence sans origine, sans point de vue — de là le silence que ces toiles nous impose ; silence si profondément et justement interrogé par le texte d’Armand Dupuy qui rejoint, via Beckett (et peut-être Blanchot ?) le désastre d’un regard qui nous adresse en retour un innommable irréductible : le bruissement d’un monde retourné, à la fois exposé et retranché, tout en même temps délivré et déchiré.
Armand Dupuy, né en 1979 à L’Arbresle, près de Lyon, a collaboré à de nombreuses revues et publié plusieurs textes poétiques, notamment distances et dehors / hors de / horde (2008), en avant les et [9’32/Pollock->http://publie.net/tnc/spip.php?article204] (2009) aux éditions publie.net. Les paensements d’Arrière-arrière-grand-maman a été publié en 2009 chez Animal graphique et L’évidence feuilletée d’un monde et être et sont à paraître aux éditions Nuit Myrtide et la Rivière échappée très prochainement. Il a également fondé les éditions Mots Tessons.Jean-Marc Scanreigh, né en 1950, est peintre, dessinateur, graveur et éditeur de livres d’artiste. Il collabore avec de nombreux auteurs comme en témoignent les catalogues raisonnés édités par la bibliothèque de Lyon en 1988 et « Livres à l’envi » par Mémoire Active en 2004. Une monographie sur sa peinture, « Pour un Scanreigh historié » avec un portrait littéraire de Jacques Jouet est édité par le même éditeur en 2008.
Scanreigh vit actuellement à Nîmes où le Musée des Beaux Arts l’a invité en 2009 à investir la rotonde pour une exposition consacrée à ses tondi. La Bibliothèque du Carré d’Art présentera en 2011 une rétrospective de son oeuvre gravé.