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Portraits de Saint-Just | Onze fois le visage manquant
jeudi 25 février 2021
un chemin vers le livre
Le visage de Saint-Just, il fallait bien qu’il manque. D’avoir, ces dernières années, voulu approcher l’ombre, l’ayant prise pour la proie, je l’ai souvent cherché. Faut-il que le visage dise l’homme, et l’homme la pensée ?
Puisqu’on ne représente pas à la légère le Représentant, il n’existe pas de portrait du vivant de Saint-Just. Ceux qu’on dispose suivent de près la mort du Conventionnel, et portent tous la hargne qu’on lui voue ou la vénération qu’il suscite : plus souvent la hargne.
Qu’il est curieux l’art de peindre vif un homme mort. Chaque trait du visage témoigne donc de l’intention du visage plutôt que sa vie. Le geste dit donc aussi une façon de l’écrire, qui est cette manière d’interroger la trace laissée en soi par l’Histoire. Il était juste donc que je les regarde, ces portraits manqués, chercher aussi en eux un signe qui valait les rêves que j’ai pu faire, ces années. Evidemment, Saint-Just n’est donc aucun de ses tableaux. Comme sur son lit, le cadavre n’est pas l’homme, ni l’inscription sur la pierre tombale l’existence enclose en deux dates qui l’enferment et la jettent dans le souvenir.
Après son mort, on ne cessera plus de le peindre, de le sculpter, le regard perdu jeté par-delà sa propre mort : autant dire sur nous. Ainsi de cette sculpture à Angers, froide et hautaine, dont l’image est longtemps restée sur ma table de travail. Portraits posthumes où il ne cessera plus d’habiter, qu’il ne cessera plus de hanter.
Mais quelques mois après sa mort, onze portraits ont été exécutés, comme un otage, ou autant de sentences sur lui. Onze fois, on a tenté de mettre à jour ce qui demeurait indéchiffrable dans la nuit. Onze tableaux donc, ont désiré poursuivre sur la toile les traits qu’il avait laissés dans son sillage. Onze fois la folie de rendre gorge au souvenir tant qu’il demeurait vif dans l’air, et pas encore lourd de l’oubli qui allait finir peu à peu par le recouvrir et le constituer.
Les voici.
Ce sont les tableaux « du vivant de Saint-Just » : non pas qu’il ait été vivant, mais il aurait pu l’être : ce sont les tableaux rêvés dans la foulée de Thermidor.
Oui, onze fois, il manque, et c’est avec ce manque que j’ai dû aller. Dans ce creux-là de la mémoire, d’une trace effacée qui ne cessait d’imposer ses signes. Onze fois, les signes insensés.
Le premier portrait est le seul qui eût été possible : le seul qui a pu l’être au temps de Saint-Just, même s’il est probable qu’il ait été commis en son absence. On ne sait pas. En général, on ne sait rien sur rien, alors sur Saint-Just ? On l’attribue aujourd’hui à Angélique Louis Verrier-Maillard, c’est-à-dire à personne. Personne n’est sur la toile, surtout pas Saint-Just.
Portrait d’Adèle Romany.
Portrait de Pierre-Paul Proud’hon.
Portrait de Jean-Baptiste Greuze (écrivant).
Portrait de François Bonneville.
Portrait de Jean-Baptiste Greuze (avachi sur un fauteuil).
Portrait anonyme dit de Jubinal.
Portrait de Christophe Guérin (boucle de pirate à l’oreille).
Portrait de Marie-Geneviève Bouliard.
Portrait anonyme (en mission, redingote bleue, coiffe tricolore à la main droite).
Portrait crayonné anonymement (terriblement inachevé : le seul où regard éperdu et noir, vide, il fait la gueule sur les siècles).