arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > cette ville (l’ombre loin de mon corps)

cette ville (l’ombre loin de mon corps)

vendredi 13 septembre 2013



L’air et le monde point cherchés. La vie.
— Etait-ce donc ceci ?
— Et le rêve fraîchit.

Rimb.

Les villes passent comme des rêves : quand on se redresse, au-dessus d’elles, c’est qu’elles nous échappent. Les villes, quelque part, plus loin, habitent le rêve d’un autre, et c’est tant mieux. Parfois, alors qu’on marche depuis des heures dans les pierres et la chaleur, l’un d’entre nous lève un doigt pour montrer quelque chose qui brille davantage ou qui noircit un peu la montagne : l’homme au doigt tendu prononce un mot (inconnu), et la ville ainsi nommée est soudain vers où l’on va.

Depuis une semaine que je vis dans cette ville nouvelle, une semaine où j’apprends les lumières et les énergies, certains champs de force, la place du soleil dans le ciel et sur les murs les ombres et comment elles s’allongent vers moi, je n’aurais jamais cru que c’était apprendre à la quitter.

Une ville, on peut faire semblant de s’endormir auprès d’elle et l’entendre respirer, on peut en plein jour chercher à en intercepter le cours, choisir des lieux qui seront pour toujours le lieu où pour la première fois j’aurai lu ces vers de Sophocle, je serai toujours pour elle un clandestin, un secret ; l’ombre loin de mon corps.

Ce matin, le bruit féroce d’une voiture au pied de l’immeuble : certitude qu’elle fonçait sur mon corps, se lever en sursaut, et où chercher le sommeil ensuite - sous la voiture ? Sous la ville.

Tout à l’heure, en raccrochant, j’ai pensé : je ne sais même pas où est le cimetière dans cette ville.

Cela aura été (je crois) la première ville que j’aurais habité sans fleuve. Ce n’était pas faute de faire de mon errance ici, un cours fuyant. (J’ai pensé aux bruits du gave, à l’aube, au pied de la gare).

Jusqu’à hier, j’évitais de regarder la ville, par superstition, pas certain d’y rester. Étrangement, maintenant, je la regarde lentement ; je me suis perdu tout à l’heure, vers le Nord ; je suis revenu sur des chemins que je ne prendrai plus [1]

Je parle de toutes les villes, de toutes ces villes que j’aurais un peu habité comme un passant ; et je parle de celle-ci, sur laquelle la lumière tombe, que je retiens encore.


[1Et toutes ces pensées teintées par celle-ci : Je sais aussi que, ce soir, la ville va s’agrandir, quelle que soit la ville.