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qu’ai-je fait de la lumière (comme d’un voile)

mardi 5 novembre 2013



La perception ne transmet à mon ouïe qu’une impression d’une douceur à fondre les nerfs et la pensée ; un assoupissement ineffable enveloppe de ses pavots magiques, comme d’un voile qui tamise la lumière du jour, la puissance active de mes sens et les forces vivaces de mon imagination.

Lautréamont


Seulement la place de laisser passer la lumière. Comme dans le corps. Le matin, c’est un cri dehors, je me réveille, est-ce à cause du cri ou parce qu’il n’existe plus – quelque chose passe, la rue est vide, c’est le jour entier maintenant devant soi, un enfant qu’on aurait déposé au pied de l’église, il n’y a pas d’église, il n’y a pas d’enfant, il y a seulement un cri et moi devant le cri qui viens le ramasser : ce sera un jour complet passer ensuite à en trouver la note juste.

Écrire dehors (mardi est pour moi) parce qu’il ne fait pas encore assez froid – et les cafés sont bruyants, tous cette manie d’hurler la musique si fort dans les salles vides (les vrais humains travaillent, un mardi après-midi), alors dehors, écrire : mais il fait suffisamment froid pour que le froid pique au bout des doigts et dans la nuque ; quand il fait froid on se presse, pour le fuir : me surprends à taper plus vite, plus fort, terminer plus rapidement les phrases et tant pis pour elle – je me retourne, le froid est toujours là et même devant moi ; et moi immobile sur cette chaise de café, dehors, à écrire des phrases courtes qui disent l’urgence de finir.

Quand je rentre le soir, il n’est pas encore le soir. Je m’en aperçois parce que la Folie Vendôme est fermée et je m’en veux : longtemps que je ne l’ai pas vue. J’ai peur de ne pas voir les feuilles d’automne répandues à ses pieds, comme des enfants seuls, que je viendrai ramasser d’un regard en partant. La nuit dès cinq heures ralentit tout et accélère le jour : c’est déjà la nuit maintenant, mais il reste tant d’heures avant l’épuisement qu’il faudra épuiser. Qu’ai-je fait de la lumière ?

Je me souviens d’elle comme une histoire vague, un rêve qu’on aurait fait pour moi, une colère, une vengeance, une rage de vivant, celle de n’être pas un mort, les mots qu’on retient en soi, la brisure d’une vague et comme elle vient échouer jusqu’ici pour nous seuls, l’étranglement, les corps vides, les accords sous la main du pianiste qui sonnent juste une fois que la mélodie disparaît, je me souviens d’elle comme dans l’enfance on est près de dieu : parce qu’on ne sait rien de la peur, rien des regrets, rien de la vie qui est passée, rien de ce qui manquera toujours, rien de ce qui arrivera et qui bouleversera davantage que le manque, rien des promesses qu’on se fait, qu’on s’échange, qu’on se dit en secret dans le secret des mots qui unissent.

Je me souviens de la lumière ce matin, que j’ai passé la journée à inventer.


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