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Montpellier, en partant (de la grue, des bancs et des valises défaites)

samedi 30 novembre 2013



La source et l’essence de notre richesse sont données dans le rayonnement du soleil, qui dispense l’énergie – la richesse – sans contrepartie. Le soleil donne sans jamais recevoir.

G. Bataille.

Dans les villes où ne passer que deux jours, il n’y a que des trajets et aucune mémoire : reste la trace de comment les directions s’organisent, et c’est tout. Deux jours à Montpellier, quand j’ai fermé la chambre d’hôtel, j’ai vérifié d’un regard n’avoir rien oublié : en réalité, j’avais à peine ouvert la valise, défait les draps, ouvert la fenêtre, fait couler de l’eau — qu’est-ce que j’aurais pu oublier ? Dehors, blanc comme linge — c’est à midi que le ciel se lève, l’heure où s’enfermer dans un train seulement pour voir le soleil tomber, c’est fini.

Montpellier, repartir avec de la force — les échanges, l’amitié. Comme parfois quelques heures suffisent pour déplier la carte, organiser les guerres civiles, et rien qu’avec quelques heures, ce qui s’emporte dans la solitude, la part précieuse de ces autres que soi qui tiennent même ligne, position, et mouvement : regard.

Gare Saint-Roch, au pied : je prends le ciel à cause des quelques nuages qui viennent jouer avec le soleil (ce sont les seuls nuages du ciel), et toutes ces lignes, et cette grue levée pour le chantier plus loin, c’est évidemment une image de ces deux jours, je ne m’en rends pas compte. Je le réalise le soir, en voyant que je ne suis pas le seul à l’emporter avec moi avant de partir : le regard là-haut avant de partir n’est pas différent de celui déposé dans la chambre d’hôtel : vérifier qu’on est déjà parti, qu’il reste de soi seulement ce qui va continuer sans nous. C’est bien.

Sur le quai, trois bancs alignés sans vis-à-vis, et même pas côte à côte vraiment, mais légèrement décalés. Je regrette que Emmanuel D. ne soit pas avec moi pour me permettre de lire ces signes de la ville aberrante, invivable. Je regarde lentement ce que les bancs regardent : les murs lépreux. Je rêve au dialogue de ces trois bancs morts.

Dans le train, longue lecture de Bataille. La mort à l’œuvre, oui, à chaque page, chaque année, d’une vie entièrement livrée à une pensée (celle qui formule, à peu près, le regard sur le sol perçu comme cimetière à échelle planétaire). Dehors, les champs pourtant au repos font se lever des arbres, et je regarde.

Au retour à Aix, dès la porte de l’appartement ouverte : la pensée première, émerveillé : le miracle que les plantes ont survécu. J’ouvre la lumière, l’allogène en position médian pour lumière diffuse, quelque chose comme un clair-obscur où je peux évoluer lentement comme s’il était déjà deux heures du matin. Les gestes de la vie prennent leur place. Ranger, défaire les valises, plier. Duras : le net qu’on fait dans la vie matérielle pour permettre d’écrire, parce qu’on laisse la mort en arrière de soi, parce qu’on pourrait bien mourir maintenant, tout sera rangé au moins. Je veillerai une partie de la nuit.