arnaud maïsetti | carnets

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à perpétuité

mardi 8 juillet 2014



se dit des terrains vendus à toujours dans les cimetières.

Littré

dans la cathédrale vide d’Auxerre, à l’entrée de la nef, un lutrin immense est posé ; la Bible ouverte en deux comme un corps, les pages cornées, humides à la base, celui qui entre tombe sur une page des psaumes, où la colère de dieu est hurlée même en notre absence. je feuillette rapidement pour trouver la première page de la genèse, le souffle divin qui se répand dans le désert et le vide : le traducteur s’excuse d’avoir traduit par le désert et le vide ces mots incompréhensibles qui disent bien plus que le désert et le vide, ou bien moins, c’est justement cela, qui est incompréhensible — autant concéder à l’hébreu le privilège de la perpétuité, et laisser les mots de la langue ancienne : tohu et bohu.

dans la pièce vide et déserte, retour après cinq jours aux tâches communes : les dates limites, administratives, se sont autour de moi évanouies — fin d’année un peu partout (qu’elle tombe au pli de l’année est toujours un mystère ; qu’elle tombe au moment où le jour se rétracte, où la nuit gagne et recommence, toujours une blessure) : reprendre pied dans le temps, liste des tâches sociales faites, c’est regarder le ciel s’enfuir, un peu, et regarder l’ordinateur en rêvant. Oui, l’avantage des dates de clôture administrative, c’est qu’une fois franchies, il n’y a plus que de la nuit pour soi, et des livres à écrire, des vies à inventer, un peu, sans concession des nôtres.

dans les cimetières de toutes les villes, chaque parcelle est occupée, et les inscriptions sont pour nous, vivants qui se rendons là parce qu’on n’est pas, ici, d’ici — alors on parle en silence. Aux tombes de marbre les plus belles et récentes, les plus cruelles, succèdent celles où la pierre est rongée par la pierre, devenue de la terre presque, cet état minéral et végétal où la terre revient. Et ces inscriptions tracées au burin, au pinceau, avec la précision des éternels, signent toujours les pierres les plus anciennes qu’on n’ose pas toucher à cause de l’inscription même, de la superstition peut-être accordée à de telles lettres, ou en raison de la beauté pure de ces pierres vives qu’on dirait allongées de fatigue, à toujours.

L’image de ces pierres comme le contraire de nos vies ? Et cependant, par métonymie, quelque chose qui ressemble à nos livres, couchés. Concédés à perpétuité à l’oubli. Quelque chose qui ressemble à du passé, celui qui nous attend ; et l’amour pourtant, entre les pierres qui traverse ici et là, d’un battement secret et doux, permet qu’on rejoigne les routes pour désensorceler le temps.

dans les allées, songer à la paix doucement qui vient avec le vent, au travail de la paix en soi pour apaiser le temps, et la vie autour venue battre, la vie sociale qui va recommencer et contre laquelle on n’a si peu d’armes, ou notre solitude ; songer dans le silence des arbres à la ville qui semble seulement possible, aux corps qui dans la poussière nous veillent comme des souvenirs maintenant, et nous qui allons en eux pour nous éloigner.