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In Aeternum : aujourd’hui, la mort de Saint-Just et des autres

lundi 28 juillet 2014

Des souvenirs qui sont d’étranges tombeaux que certains élèvent à la Terreur, ou contre elle ? (pour la conjurer sans doute.)

Si la Révolution est un bloc, elle est un seul deuil — mais si elle est éparse et mille comme les noms du diable, elle reste innommable. Et si la Révolution est une Histoire, qu’elle soit la nôtre — et les morts, des morts qui sont un devenir ?

Ce jour, dans Le Monde, on s’est souvenu que c’était aujourd’hui.

Qui ?

In Aeternum — le mot d’église résonne dans un certain vide. Ou dans l’éternité ? J’avais lu Ad Aeternam : Pour l’éternité (comment ne pas être pour ?). Oui, pour l’éternité, aujourd’hui compris ; sans doute aux yeux des Archanges fait-on partie, nous, de l’éternité. Sans doute l’éternité a commencé immédiatement après leur mort, la lame tombée sur le cou dans un souffle, tombée comme des villes, comme des rois.

Aujourd’hui où l’Histoire est au présent ce qu’on comble, et le bruit de nos pas, aujourd’hui est le temps où l’Histoire nous apparaît avec la simplicité des vies qui étaient des destins : leurs vies comme des blocs de temps qui ont accompli le temps, leur temps.

Aujourd’hui où l’Histoire continue, ces corps sans visage désormais, qui reposent de la poussière, ne sont que des noms sur le papier. Les journaux qui les impriment leur laisse les dernières pages — sur les premières, on imprime Gaza et le décompte des morts comme des secondes jusqu’à la nuit tombée, on imprime le Mali, on imprime les Ukraines qui s’inventent. Et les visages dans la poussière continuent de se mélanger dans la poussière. Quelle leçon ?

Il n’y a pas de leçon — il y a seulement l’effort de lire dans ses vies ce qui est incompréhensible : l’extrême violence commise au nom de l’extrême bonheur, forcer les hommes à être libres, exiger la vertu par la peur. Tâcher de croire que le peuple n’est pas traitre à la cause du peuple.

Les peuples dehors sortent dans la rue pour battre le sol.

Ici, les Arènes sont toujours un peu plus vides chaque soir.

Les nom de Robespierre et de Saint-Just ne seraient pour nous autres pas dignes ici d’être des sorties de métro ? On les écrit au milieu des morts jeunes de la veille, et des petites annonces. Ils ne sont pas différents, eux-mêmes ont été morts jeunes de la veille le lendemain où l’éternité commençait. Ces noms ne semblent pas dignes d’être sur la pierre. À peine de nommer des rues.. À peine. Sur l’écran, le journal imprimé clignote lentement ces noms, des Terroristes à la gloire de quoi on les oublie, on les honore de tout un oubli qui persiste

La beauté manifeste de leur nom ne cache ni les crimes qu’on confond avec des faits d’armes, ni les héritages sublimes qui ne seront bientôt plus que des slogans, le sont déjà peut-être.

Il y a la chaleur de ces jours, et il faut croire qu’elle était la même attachée à ces jours de 1794. La chaleur de ces jours est ainsi le lien le plus étroit et intime qui m’attache à ces corps. Et la chaleur de ces jours m’attache à des cris lancés ce soir-là de Thermidor que je n’entends pas et dont je crois chercher les échos.


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