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La Ville écrite | Secret des ratures d’Allah

lundi 1er juin 2015

Dieu écrit droit avec des lignes courbes. Claudel attribue à un proverbe portugais ses propres fulgurances — que Dieu et la sagesse portugaise lui pardonnent. Enfant, on nous apprenait à lire en posant le doigt sur chaque lettre ; ainsi, l’une après l’autre prononcée, je pensais que la lecture venait du toucher, que les lèvres disaient ce qui jaillissait de la main. Comme d’un branchement électrique, j’imaginais qu’il suffisait de se relier par le corps aux lettres pour les prononcer. Je ne peux lire cette phrase de Claudel sans imaginer l’enfance en lui, penché sur la mauvaise table, et suivant du doigt et des yeux, de tout le corps, les caprices des montagnes et des étoiles, songeant à l’œuvre d’un Dieu éparpillé dans le chaos désordonné de son propre désir de le voir.

Rue Guibal, une affiche arrachée – il y en a tant. Je me penche sur elle comme sur tout ce qui est désirable et mystérieux, et je voudrais presque poser les mains sur elle, sur les ratures qui portent le secret déchiré de la vérité – ratures qui fabriquent une phrase de seconde main comme seule est capable la théologie des hommes, celle des buchers à Séville. Il faut prendre le temps de refuser de lire, de faire l’autodafé intérieur nécessaire pour revenir à la phrase, non pas celle qui a été écrite d’abord, mais celle qui s’est retirée.

Et recomposer lentement une troisième phrase, en gardant seulement les mots raturés.

Les mots qui demeurent sont sales d’être restés intacts ; seuls sont vrais les mots arrachés, comme aux yeux crevés sont les espaces les plus préservés de la lumière, ou dans la mort les amours perdues, et dans l’amour l’oubli.


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