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ciels

mercredi 15 juin 2005

Une étoile après l’autre. Des cristaux noirs traversent la lumière, s’arrêtent quand le jour les achève : figés dans l’instant de six milliards d’années terrestres comme on navigue à vue, et les rochers sont déserts. Et encore. Vous n’avez pas tout vu. Christophe Colomb voulait faire le tour de la Terre pour retrouver les pays, les ors et les parfums, là où de l’autre côté il les avait laissés. Mais il n’a pas réussi. Les navires ont échoué sur des terres qui n’existaient pas, et le monde au lieu d’être rond, s’est soudain rempli de forêts et de sauvages. Partir pour revenir : mais en travers du voyage, c’est le monde qui fait obstacle, se dresse comme un désir de plus à assouvir, un secret de plus qui retarde l’autre.

Au commencement, il n’y avait rien. Même le temps n’existait pas. Il y a des creux où s’endorment même les secondes, des trous plus profonds que la conscience ; on ensevelit là depuis la première nuit (était-ce un jour, ou le début du soir ?) des aubes par centaines, étouffées et accumulées au fond des puits de silence. Nous aussi dans nos immeubles prêts de s’effondrer, on pousse un cri plus haut qu’un autre : « Terre ! ». Ils nous regardent comme des fous. Alors, on lève les yeux au ciel, les bras croisés dans une camisole de force, sourire aux passants, imaginer leurs pupilles crevées. On pense le temps que prennent les rayons à éblouir les passants. A leur ouvrir les yeux. On lève au ciel des mains imaginaires. La fatigue nous empêche de dormir. Les comètes ne s’arrêtent jamais : plus loin que la distance, il y a encore de l’espace et du temps, et au-delà, encore et toujours du temps, de moins en moins lointain, mais qui remplit les secondes, et croît partout jusqu’à se confondre avec le regard ; alors il suffit pour les suivre de se retourner, de les écouter, de partir – et rien n’existe plus sur terre que cette torpeur vagabonde qui largue les amarres, et éparpille les derniers vestiges de la raison quand tout à coup la fenêtre se brise sous le charme d’un opéra inconnu, d’un appel auquel je ne peux me soustraire sans manquer à la vie.

L’endroit le plus éloigné de la terre : c’est ici, partout ; lieu loin duquel les soleils s’effondrent. Pluies de météorites : nulle part. Qui me dira la vitesse de la terre ? Combien de galaxies parcourues ? Dans ce mouvement de balancier et d’immobilité autour du soleil, les nuages font la course dans le vent : sûrs de n’être jamais battus par aucune planète, plus occupée à chercher la lumière, qu’à pénétrer l’univers. Derrière les étoiles, il y a encore des étoiles, et des hommes pour les attendre, sans bouger eux aussi, attendre des lueurs d’espoir : particules qui sombrent tendrement dans l’univers - jeu d’écho, quelques bourrasques solaires, l’oubli de tout, enfin. A chaque fois qu’on découvre l’endroit le plus reculé de la terre, qu’on le soulève et le dépoussière comme un enfant aveugle et muet, alors on suppose qu’il existe un endroit encore plus écarté de nous, celui qu’il nous faut découvrir. Acte toujours sans fin, comme une avancée dans la chair sans résistance, la chair des départs avortés, de l’autre côté du ciel où personne n’ira jamais, et où nous risquons notre rêve chaque nuit.

Je vais partir : et je ne sors pas du lit, la fatigue une nouvelle fois, me maintient loin de vous, mes frères.

Le ciel est noir et transparent, si haut que tout sur terre paraît impossible ; on pourrait bien tendre les mains on ne toucherait que la première épaisseur de sa peau. Je reste ici pourtant, moi qui ne suis plus de ce monde-là, mais de l’autre, où mon corps est un passe murailles.

Je ne produis pas le désir. J’en procède. Mes mains raidies sur la corde qui voudrait m’attirer encore parmi vous, saignent et suent. Je m’essuie le visage avec chacun de mes doigts.

Plus loin, c’est encore les étoiles. Et derrière les étoiles, il y a des ciels qui ont vu naître le temps, qui le verront s’abattre comme de la neige, et tomber au sol, tout seul.

Ils regardent passer quelques hommes fatigués qui n’ont pas abdiqué, puis la nuit encore, et ça n’en finit pas. C’est comme les vagues. Une étoile après l’autre.

arnaud maïsetti - 11 juin 2005