arnaud maïsetti | carnets

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un faux pas

dimanche 6 août 2006


Il a fallu commencer. Par le pire. Je ne sais pas. Par le hasard. Il a fallu continuer – mais commencer non ; bien trop long. Commencer est bien trop long : et c’est trop tard. Alors, elle reste en travers de la gorge, et du reste – l’hésitation liminale. Ce premier pas jamais réellement lancé, mais les pas se sont ajoutés derrière. On ne peut s’en défaire – ce regret de n’avoir pas commencé. Le premier souvenir provisoirement arraché au froid. La nudité des années qui tremblent. D’autres avant lui. D’autres souvenirs qu’on a perdus précèdent le premier qu’il nous reste – le seul qui demeure vivant au milieu de l’enfance ; un doigt tranché sur l’enfance. Car avant ce premier souvenir d’autres. Et avant d’autres encore. Et encore. Qu’on a oublié – qu’on n’a pas su retenir – et désormais précipités au bas des humiliations, des hontes dont on n’ose plus s’avouer l’esclave. Le premier pas lancé maladroitement. Le deuxième joue la répétition bornée du temps qui n’est pas passé lorsqu’il s’est mis a existé en travers de la route. Sur lequel on trébuche. Un faux pas. Une longue chute s’ensuivit. Qui ne s’est pas terminé. Nous prolongeons le mouvement. Deux est le commencement de la fin. Les causes perdues – les regards obliques. Les lumières artificielles ; dans la vase tranquille de l’enfance. Les forêts bruissent de mouvements magiques et silencieux – dans les terres vierges du monde s’alignent les habitudes. La peau grelotte ; se souvient. Les tribus dansent. Les totems sont dressés – le feu se répand dans les nuages. Les cicatrices couvrent soudain les peaux qui sous les cendres brûlantes s’ouvrent en deux au même moment que les bouches dans un cri de joie et de larmes blessées. La cérémonie du temps. Mais qui s’en souvient ; faux pas toujours – trébucher sur les cailloux. On souffle sur les plants de riz pour leur apprendre à pousser. On peut aussi porter des masques comme le soleil pour l’allumer à nouveau. Aujourd’hui, qui s’en soucie. Dieu n’est pas un caillou devant lequel se prosterner. Dans les couvertures de lin, les peaux se cherchent et voudraient se toucher parce qu’il fait si froid. Les secousses ébranlent le corps en entier, on ne sait pas si c’est la peur ou la couleur bleue de l’air – la buée qui s’échappe de nos lèvres coupées. Le premier pas jamais véritablement posé mais bien plutôt lancé et pourtant suivis de centaines jusqu’à ce soir de fatigue et de lumière pâles et transparentes étalée dans la nuit. Confondues dans la nuit. Le premier pas se dérobe. Il s’effondre sur lui-même et la chute est immense. La chute de l’homme. Par hasard et sans but. Voilà qu’elle se termine sur les évidences et la peur ; et le froid de n’être pas tout seul. Mais innombrables et frères de solitudes. Dans le trou, mon corps rebondit sur les corps inertes qui m’ont précédé. Et quand je lève la tête – des centaines encore me tombent sur les yeux. Leur chute grotesque me recouvre. On ne me voit plus ; mon cri se noie au milieu des cris plus puissants de ceux qui au dessus de moi continuent de tomber. Ce trou immense où nous sommes tous rassemblés dans le froid. Premier pas lancé – échoue sur les autres écroulés. Château de cartes soufflé. Vagues successives de corps échoués sur la mer. Jusqu’à ce gouffre vide. Ce tombeau sans lumière recueille la chute des corps – la chute de l’histoire qui n’en finit pas.