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la destinée du Paradis

lundi 17 avril 2017

À Niolon, en face la ville


Nous avons été créés pour vivre au paradis, le paradis était destiné à nous servir. Notre destinée a été changée ; qu’il soit arrivé la même chose à la destinée du paradis n’a pas été dit

Kafka, Aphorisme

Woodkid, The Golden Age (2013)


Campagne Pastré. (Campagne, c’est le mot dont ils se servent pour nommer ces grands parcs qui entouraient leur château : ils ne disaient pas château, il disaient folie. Aujourd’hui, les parcs sont ouverts aux vents et à tous, les châteaux sont fermés, et les folies sont dans les cimetières de l’histoire). Le parc est immense ; aujourd’hui, il est parcouru de familles, serviettes étalées dans l’herbe, jeux, hurlements, la joie des lundis fériés que rien ne pourrait épuiser.

Au bord de la pelouse qui longe la grille vers le sud, trois très jeunes enfants regardent une jeune femme leur expliquer les règles d’un jeu bien mystérieux. Quand j’ai fini de dire un deux trois soleil vous devez rester immobile sinon vous retournez là où vous êtes. Les trois jeunes garçons se regardent en souriant, sûr que l’autre a compris, au moins. La jeune femme se retourne. Elle hurle un deux trois soleil et se retourne dans un cri : les trois jeunes garçons, restés bien sagement immobiles pendant qu’elle disait la formule attendaient peut-être ce signal pour soudain s’éparpiller en tous sens loin de la jeune femme.

Elle avait oublié de dire qu’il fallait se diriger vers elle pendant qu’elle était retournée. Elle avait oublié de dire le but du jeu, et s’était perdue dans les règles. Alors elle court en riant à la poursuite des enfants qui courent encore.

On se demande ce qui s’est perdu en chemin : ces règles au milieu du but, ces pourquoi qui se sont effacés et dont il ne semble demeurer que des grandes villes avec des couloirs de métros, des tâches à faire, des courses à remplir et des soirs. Et dans ces jours d’élections qui décideront des jours suivants, dans ces jours où tout, nous dit-on, va basculer pour des lendemains meilleurs, on se le demande les règles et les pourquoi, et on regarde ces enfants qui réinventent les règles et les buts en décidant du sens du vent.

Chaque enfant est lui-même l’allégorie de chaque geste parce que chacun leur donne naissance, ou qu’il les découvre comme une première fois : parce qu’il est la première fois recommencée des choses. Dieu, disent les textes, n’a pas créé le monde, il ne cesse de le faire, chaque jour.

Dans ces jours qui achèvent sans doute quelque chose de ce monde si mort – et cherchent la falaise du coyote, celle où le coyote poursuit sa course dans le vide comme si la route était ce vide : avant de s’apercevoir du vide et de tomber -, des images comme celle-là remettent les choses à leur juste place. La place cruelle et joyeuse d’un sens qui ne peut se trouver que dans la direction librement choisie au milieu de la joie, des hurlements sans raison poussé dans la chaleur simple d’avril au milieu d’une histoire que ces cris vont recommencer et réinventer, ou venger.