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rien des apparences actuelles

samedi 13 mai 2017


Tu es encore à la tentation d’Antoine. L’ébat du zèle écourté, les tics d’orgueil puéril, l’affaissement et l’effroi.
Mais tu te mettras à ce travail : toutes les possibilités harmoniques et architecturales s’émouvront autour de ton siège. Des êtres parfaits, imprévus, s’offriront à tes expériences. Dans tes environs affluera rêveusement la curiosité d’anciennes foules et de luxes oisifs. Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice. Quant au monde, quand tu sortiras, que sera-t-il devenu ? En tout cas, rien des apparences actuelles.

Rimb.

Lumineers, Boots of Spanish Leather (reprise de Bob Dylan)

Maintenant que les affiches qui recouvraient le pays tombent en lambeaux, font voir les visages derrière les sourires, et les grimaces sombres sous les déchirures, ce qui aurait pu avoir lieu s’efface, les soulagements lâches, les joies de propriétaires, les remords des vaincus, tout se dilue dans l’ordre réel des choses, qui est d’abord le nôtre, à notre mesure, simple et féroce.

On cherche des issues de secours qui seraient d’autres façons d’entrer.

C’est par exemple la nuit. Relire La Nuit des prolétaires, les mots de Rancière soutiennent. La nuit qu’on occupe pendant qu’ils dorment est cela de pris sur l’histoire, sur le temps perdu, leur temps gagné. C’est par exemple juste avant le matin et juste après le soir : des éclats.

Ce ne sont pas des victoires, seulement des prises d’appui.

Des alliés, il y en a tant, des morts et des vivants. Renouer avec Illuminations, la séquence Jeunesse, l’insondable secret, celui qui insiste. Ou aller au théâtre, et hier, entendre des mots qui portent, comme des coups, comme on frappe à une porte scellée non pour l’ouvrir, mais faire entendre ses poings, et cela avec la douceur, et avec la grâce, et avec la colère que seuls les mots donnent et reprennent.

Je découvre une chanson qui est un désastre et une merveille : je ne sais tenir l’équilibre, alors je l’écoute toute la journée sans rien décider du désastre ou de la merveille, je l’écoute. Et lentement toute la journée le paysage de Marseille à Paris, et de Paris à Nantes passera devant moi, sans moi.

Le monde continue, paraît-il ; des attaques sont lancées sur des sites internet ; nos minuscules carnets sont préservés de cela, aussi, et je ne sais pas non plus si cela relève du désastre ou de la merveille. Il faudra trouver le sommeil encore ce soir. Ou alors, faire durer la nuit sur soi non comme une consolation, ni comme une peine : mais comme simplement du temps qu’au moins ils n’auront pas.