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apprendre à dire malesh

lundi 18 décembre 2017


Fairouz, Al quds (Jerusalem)


C’est un mot que j’aurais entendu plusieurs fois à Beyrouth, sans le comprendre — et au moment de partir, je pose la question : malesh, c’est difficile à traduire. On pourrait penser que c’est une manière de dire peu importe, ou ce n’est pas grave. Mais c’est le contraire de l’indifférence : c’est le mot qui dit aussi ne te laisse pas abattre, demain, tu verras, cela ira mieux, ne t’en fais pas : il y aura des jours meilleurs, oui. Tout cela qui n’est pas le haussement d’épaules devant la fatalité, plutôt comme on se relève après être tombé. Malesh

Je ne sais pas : c’est ce que j’ai compris.

De retour à Marseille, le temps a repris, les arbres sans feuilles, et dans les journaux, les mêmes abjections commises en notre nom. Je lis ce matin l’histoire de ces hommes et de ces femmes qui, après avoir franchi les mers, trouvent la mort dans les montagnes. Des corps qu’on retrouvera peut-être dans quelques mois, après la fonte des neiges, ou dans dix siècles ? Je lis cela et ne comprends évidemment rien à ce monde : ou le comprends assez bien, peut-être, pour le suivre, dans sa folie impensable.

Chaque matin aussi, je lis désormais plusieurs pages d’un quotidien beyrouthien proche du mouvement du 14-mars. Et quelques pages du Devoir de Montréal. Une sorte d’hygiène de lire le présent ailleurs. D’être maintenu dans le fil du temps par ces pages qui nomment où nous sommes, et quand : et c’est souvent tant pis pour moi.

Reste, en regardant le ciel, à tâcher aussi — dans le même mouvement —, le soir, de s’arracher à ces présents qui empèsent : et à la nuit, ensuite, d’écrire le contre-récit de ces matins, de ces temps insupportables, fabriquer des vies qui feraient contrepoids, minusculement, à la bêtise de tout cela.

La fin de l’année est partout — alors qu’on la précipite dans n’importe quel abîme, oui. Et si on s’abime en retour les mains un peu à le faire : malesh.