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Mariana Enríquez | « le monde se meurt »

Brûlées

samedi 1er septembre 2018


Mariana Enríquez, à propos du roman Brûlées d’Ariadna Castellarnau, paru en France en 2018 (éditions de l’Ogre)


J’ai vu des centaines d’incendies dans ma vie et je ne suis toujours pas capable de les mettre en mots. J’ai du mal à ordonner l’enchaînement de désastres occasionnés par les flammes, à traduire l’ampleur de la chaleur et de la peur, à réussir à rendre justice à la beauté du feu. Mais il y a quelque chose que je peux dire et qui m’émeut bien davantage que n’importe quel incendie, aussi fastueux soit-il : la résonance qui flotte dans l’air après l’hécatombe, le sentiment aigu d’une perte déposé dans quelque chose d’aussi fragile que des cendres.

Le monde se meurt. Peut-être est-il déjà mort, mais des survivants l’habitent encore. Ils font des pactes sur la manière de mourir de faim, défendent leurs austères possessions, prient le long des chemins et abandonnent leurs enfants, soit pour qu’ils aient une vie meilleure, soit par puisement. Ariadna Castellarnau connaît tellement bien ces êtres désespérés qu’il lui suffit de quelques traits de sa prose sèche, intensément belle par moments, pour en dessiner les contours : la femme sans jambe, la femme sans oeil, la petite albinos, les jeunes chasseurs, le frère responsable. Ce qui est arrivé au monde n’est pas fondamental dans cette cartographie du désarroi qu’est Brûlées. Il importe bien plus de savoir quoi faire des résidus, de la crasse, de ces bûchers au coeur de la nuit, du lent abandon de la compassion et du règne de la tristesse. [...]

Castellarnau écrit sur la fin comme si elle la connaissait, comme un témoin qui sait qui devine et qui blesse ; un témoin qui enrage de la mort de la lumière.