arnaud maïsetti | carnets

Accueil > JOURNAL | CONTRETEMPS (un weblog) > solstice de l’aube

solstice de l’aube

vendredi 21 décembre 2018

A l’aube être réveillée / Par une joie qui t’étouffe / Et voir derrière un hublot / Ondoyer la vague verte, / Ou par un grand vent sur le pont, / Emmitouflés de fourrure, / Écouter vibrer les soutes / Et ne penser à rien d’autre, / Mais pressentant la rencontre / Avec ma nouvelle étoile, / D’heure en heure rajeunir / Sous le fouet d’embruns salés.

Anna Akhmatova


``

Martin Rev, Secret Teardrops


À vingt-trois heures vingt-trois, ce soir, on aura donc basculé : encore, encore. Il faudra penser à l’aube : l’aube sauve toujours du soir.

Vingt-et-un décembre. Ce soir, la nuit aura dévoré tout ce qu’elle peut du jour, le réduisant à ce qu’il est quand il est nu et lâché au milieu de la forêt des hommes, ce petit rien qu’entre les mains on ne perçoit qu’à peine, qu’à grande peine. Je vois le jour, ces jours, comme la proie des fauves qui l’entourent : lui, il tente de ramasser un morceau de bois, d’allumer des flammes, faire des cercles autour de lui pour éloigner la nuit.

Demain soir, la nuit reculera, un peu. Jusqu’au vingt et un juin. Il faut penser à l’aube. Il faut penser à l’aube (la pensée seule sauve, on la répète comme on fait des cercles autour de soi dans les cris des animaux sauvages qui vont bientôt se jeter sur nous).

Les lèvres du matin ont pour eux la vérité du monde, celle qui vient tout droit du sommeil, des rêves – n’ont pas encore été trop affadies par le jour, les hommes, les chiffres dans les immeubles. Les lèvres, au matin, témoignent pour la vie qui reste, encore, possible et vivante.

(J’aligne les pensées comme elles viennent, tandis que je fais les cercles autour de moi avec ma torche en feu qui est sur le point de s’éteindre.)

La tristesse n’est pas une émotion, c’est comme pour les oiseaux le ciel. On le traverse pour aller jusqu’en Afrique, ailleurs, gagner la chaleur. Quelques étourneaux demeurent au-dessus de la mer ici : je ne sais pas si ce sont des étourneaux, s’ils vont finir par migrer, s’ils restent un peu pour profiter, ou parce que l’ordre n’a pas encore été donné. (Je ne sais pas grand chose). Le matin, j’adresse ma pensée aux oiseaux migrateurs, en frère, en amant de leurs nuits, de l’aube.

(Les pensées parfois s’arrêtent, je n’écris pas pendant cinq minutes, j’épluche une mandarine, j’attends que la chanson de Dylan soit finie, je la relance, et j’écris sous Secret Teardrops.)

Les deux jours de ciel bleu sur Marseille ces trois derniers mois : je m’en souviendrai. Est-ce cela qu’on appelle aussi vivre ? Je ne sais pas. Je lis Anna Akhmatova dont j’ignorais jusqu’à l’existence il y a trois semaines, espérant trouver là l’oracle de ces jours, de ces soirs : des aubes qui parviendront à lier ensemble les déchirures, à relever les nuits, à emporter le ciel ailleurs si j’y suis.