arnaud maïsetti | carnets

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contre-histoire

dimanche 14 février 2010

Rien n’est à toi, dit la chanson que j’écoute, volume au plus haut pour qu’aucune note ne m’échappe, ni le souffle de l’air autour, et les silences qui font tenir haut la voix du type qui crache ses mots comme si ne pas les dire ferait s’effondrer le monde ; et comme je suis là, dans la pièce chaude, entouré de cela, la nécessité de l’histoire ce soir, l’urgence de la prolonger.

Rien n’est à toi, c’est juste l’histoire du monde ; aux salariés de cette usine, disent les informations, on envoie une lettre annonçant leur licenciement, sauf — sauf s’ils acceptent un nouveau poste, payé deux fois moins que peu, de l’autre côté de l’Europe. Volume serré contre le corps, dehors le froid ne m’atteint pas, il visse encore d’un cran la chambre où je me tiens, et le bruit du monde qui frotte contre la voix du type, qui crie de plus en plus le refrain pour ne pas céder.

Rien n’est à toi, chacun sa petite seconde : en haut du phare la semaine dernière, le monde comme en miniature, les arbres qu’on pourrait piétiner d’un regard — fourmis tout cela — le sommet des arbres qui m’apparaît comme la surface de la réalité — fourmis encore, et fourmis les mouvements des cimes au rythme du vent — je m’enfonce dans mon manteau : on me pose une question, je n’ai pas entendu ; je réponds quand même — j’ai une chance sur deux de tomber juste. À la télévision, la célébrité se monnaie à la seconde : et le soir, patiemment, une ligne arrachée sur l’autre à l’écran de l’ordinateur, on construit dans le bruit fort de cette musique la contre-histoire du réel qui saura lui rendre gorge, au moins.