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le pouvoir des artisans de la fin

lundi 18 novembre 2019

« Se mettre en route pour des lieux où ne mène aucune route, c’est une habitude qu’il faut perdre. Parler d’affaires que les paroles ne peuvent régler, c’est une habitude qu’il faut perdre. Penser à des problèmes que la pensée ne saurait résoudre, c’est une habitude qu’il faut perdre », disait Me Ti.

Brecht, Me-Ti ou le livre des retournements

C’est toujours l’histoire des malentendus : et je ne sais toujours pas quelle est l’histoire. Il faut que la nuit soit complète pour voir les étoiles ; et que le silence soit parfait pour l’entendre. Toujours l’histoire des malentendus précède l’intelligence de la situation. Dans la nuit, j’entends mieux : au moins est-ce clair. Toute la journée, je l’ai passé en passant d’un lieu à l’autre en pensant à un autre encore : ai-je habité autre part que dans le retard et la peine ? Oui, toujours avec la liesse la tristesse se mêle secrètement : mais ce n’est pas un secret, seulement le poids dans le corps.

Le mot de lâcheté (la coupure) : ce qu’il porte.

La fatigue me relie plus sûrement que la force à ce qui m’appartient : ce moment de bascule avant le sommeil, juste avant. Dans la fatigue, je suis plus proche que jamais des malentendus, ceux qui éveillent, soulèvent, soutiennent. Les cris dans le sommeil, je ne les entends pas. Si je vois les visages, ils sont étendus en moi : comment le dire autrement ?

Donc le malentendu. On tient à me lire cette phrase : j’ai oublié le début, mais elle disait qu’il fallait continuellement lutter contre le pouvoir des artisans de la fin. Enfin, je trouvai la clé : celle qui ouvrait ces jours sur un jour neuf. La fin de l’histoire comme la fin de la politique, tous ceux qui nous gouvernent l’élaborent patiemment et avec acharnement contre nous, pour que cessent la politique et l’histoire et que s’établisse dans la fin ce qui n’aura pas de fin. Ce à quoi il faudrait lutter, c’est chercher inlassablement des commencements, le contraire des fins, la puissance de ce qui recommence et qui nous établirait de plain-pied dans le complot contre les puissances (qui en nous aussi œuvre, fait le sale boulot des fins). J’avais entendu, et compris. Je regardais le vent dehors et il battait contre moi l’appel. Il ne pleuvrait que sur des évidences désormais.

Mais j’avais mal compris.

Contre le pouvoir des artisans de la faim. C’était la phrase exacte de Brecht et tout retombait. Je ne cherchais même pas à comprendre ce qui pourrait être bien sûr, je le crois, une plus puissante pensée et plus utile peut-être. Mais je n’étais plus là. La faim remplaçait la fin, et d’ailleurs, je n’avais rien mangé depuis hier soir, et il était trois heures. Le vent dehors soufflait de nouveau dans l’arbitraire des signes et des choses, dans l’insignifiance volontaire de l’épars, dans la violence continue sous l’époque.

« Dans toute idée, il faut chercher à qui elle va et de qui elle vient ; alors seulement on comprend son efficacité » — Brecht toujours, l’ami, l’allié. Je m’appuie sur cette phrase aussi pour être le va-et-vient lui-même, de la peine et de la force, de l’effroi et de la confiance.

L’autre malentendu, je le trouve à l’instant : j’avais cru qu’il s’agissait le livre des renversements et ce n’était que celui des retournements. On rêve tant à des renversements de pouvoir que le retournement se fait contre nous. Décidément.

Dans le jour qui tombe à mes pieds comme toujours quand il tombe, je regarde des images des manifestations de samedi en m’empêchant de n’y voir que des images : plutôt, comme on marche en rang serré, puisant en elle la force de ne pas tomber tout à fait.