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qui dérive peu à peu vers la nuit

mardi 9 mars 2021


« […] un étrange univers lacunaire, qui dérive peu à peu vers la nuit, troué de ces longues déchirures intercalaires qu’on voit aux nuages couchants, morcelé par les grands effondrements du souvenir »

Julien Gracq, Préférences

En refermant les Mémoires d’outre-tombe, Julien Gracq nomme avec exactitude moins le récit de Chateaubriand que l’appartenance à notre temps, ce temps-là, présent qui s’enfuit sous nos yeux sans nous emporter et qui bientôt va disparaître. On dispose pour seule boussole dans nos errances que ces phrases qui ressemblent autant à l’art poétique d’une œuvre réactionnaire qu’à un traité de cosmologie.

Alors, on va ; on tend la boussole comme la baguette d’un sourcier, ou comme une arme vide qui pourrait effrayer les coyotes. Ils n’ont pas peur. Ils s’assemblent autour de nous, les coyotes, attendent qu’on s’effondre peut-être et ils nous suivent, et nous, nous pensons qu’on les suit. Au détour de la forêt, ou d’une vague, on finira bien par toucher terre. On va.

À la radio, cette phrase : même le passé est devenu incertain. C’est au sujet d’une décision de justice qui lave un ancien président Brésilien des condamnations de corruption, et peu importe. C’est au sujet de toute l’histoire quand ses traces mêmes ne fixent plus rien, sont affaire de réécriture permanente qui façonne chaque jour nos jours à venir. Même le passé est devenu incertain. Et si l’avenir s’estompe, que le présent s’échappe, que nous reste-t-il ? Des instants ? Des déchirures intercalaires ? S’y engouffrer. Que faire d’autre ? S’y enfoncer comme dans le sommeil, on finira bien par trouver son envers et l’envers de toutes choses ici-bas, l’envers de nous mêmes, le contraire de l’effondrement du souvenir et qui n’a pas encore de nom.


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