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à présent, comment serait-ce possible ?

jeudi 13 mai 2021

Autrefois, quand la terre était solide, je dansais, j’avais confiance ;
à présent, comment serait-ce possible ?

Michaux, Lointain intérieur


Il n’y avait pas un nuage dans le ciel, ce soir-là ; la voie semblait libre. C’est alors qu’une masse brumeuse, lointaine, éparse, s’est assemblée pour intercepter, dans l’impeccable, la trajectoire du soleil — et tout aura été plongé dans le froid ce seul moment où je suis sorti pour respirer dehors. Il ne faut pas chercher longtemps les images qui nomment ces jours. Ne pas refuser trop violemment les clés aux énigmes qui ne sont pas posées.

J’attendais un événement, quelque chose d’évident et de sûr, pour revenir écrire ici ; ce journal ressemble de moins à moins à un journal, avec ces notes écartées comme des étoiles, et tant pis pour moi, les étoiles sont de toute manière peut-être éteintes déjà pour la plupart. Non, c’est faux, je n’attendais rien : seulement, les heures manquent à mesure que les tâches s’accumulent, et leur retard. Il ne faut jamais attendre, c’est pourtant une loi élémentaire.

Si je fais le compte de ces jours, il y aura eu en désordre des lectures graves et importantes [1] ; beaucoup de vent ; plusieurs colères ; la joie de l’occupation du théâtre national de Marseille ; la découverte du fado. Cela ferait une semaine ? Davantage.

Je me déplace dans les rues de Lisbonne en caméra embarquée. Je ne comprends rien à cette ville, à ce que je vois. Une ville de ce côté de l’écran n’est qu’une image écrasée par son hors-champ ; il y manque ce qui fait d’elle une ville. Alors, je ferme les onglets, et regarde, vue du ciel, le lac Champlain par où passent désormais des frontières — je tâche mentalement de m’en défaire : peut-être qu’écrire, ces jours, ne se fait qu’à ce prix, à cette opération impossible, alors je m’y livre avec les forces qui me restent.


On détache un grain de sable et toute la plage s’effondre, tu sais bien.


[1La mort de Masao de Didier Da Silva ; Un vagabond dans la langue, de Matthieu Mével — autrefois, j’aurais voulu écrire sur ces livres : le ferai-je ? Il le faudrait, pour nommer ce point qui se fait sur ces jours plus sûrement que le contraire d’une éclaircie.